La traduction enrichit amplement la littérature, toutes les littératures du monde, avec tant de titres qui paraissent chaque année dans les diverses langues. La tâche serait plus dure qu’écrire directement un livre dans une langue précise ; le traducteur traduit à la fois le texte, le fond, l’esthétique, la pensée, la culture et tout un arsenal d’éléments gravitant autour d’un livre. Cependant, rares sont les éloges adressés à la traduction de la part de la critique ou du lectorat. C’est pourquoi Lecture-Monde donne la parole à tous les acteurs du livre dont les traducteurs.
Après un entretien avec Sylvain Cavaillès , traducteur-éditeur (du turc vers le français) Lecture-Monde vous offre un entretien riche et inédit avec le traducteur-romancier Khaled Osman.
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1-Comment est venue votre rencontre avec la langue française, vous qui êtes né en Egypte, pays majoritairement arabophone ?
En fait mon père a été envoyé en mission pour l’Unesco, à Paris. Il ignorait que cette mission, censée être de courte durée, allait modifier son destin puisqu’on lui a proposé de rester, de sorte qu’il a passé – et nous avec lui – le reste de sa vie en France. C’est donc sans l’avoir choisi – j’étais encore un nourrisson et il n’a pas jugé utile de me consulter – que je me suis trouvé à vivre à Paris dans une double culture égyptienne et française.
2- Comment vous avez fait votre premier pas en traduction ? Des études supérieures en traduction, une passion… ?
J’ai d’abord été un lecteur passionné de textes traduits de l’arabe, je lisais presque tout ce qui se publiait et j’ai pu ainsi constater que s’il y avait beaucoup de traductions académiques de textes classiques, il y avait fort peu de littérature contemporaine traduite (par exemple Mahfouz n’avait qu’une seule œuvre traduite en français) . C’est ce qui m’a donné envie de contribuer à combler le manque en m’y essayant moi-même. J’ai donc traduit deux chapitres d’un de mes romans préférés de Mahfouz, « Le voleur et les chiens », et les ai envoyés par la poste aux éditions Sindbad, qui m’ont écrit au bout de deux semaines pour me commander la traduction intégrale. Tel a été le premier pas d’un long parcours de traducteur.
3-Vous traduisez de l’arabe vers le français ; pourquoi pas l’inverse ?
Parce que du fait de mon parcours personnel (je suis né en Égypte mais j’ai fait toute mon éducation en France), c’est le français qui est ma langue dominante – même si je me suis employé ensuite à combler un peu l’écart. Mon appropriation de la langue arabe a été pour moi comme la découverte d’un trésor dans lequel je pouvais puiser merveille sur merveille.
4-Pourquoi choisir la traduction précisément et pas le théâtre ou le cinéma ou autre discipline ?
Tout le champ culturel m’intéressait – je suis cinéphile et j’ai exercé un peu comme critique de cinéma – mais c’est la littérature qui était ma passion et que j’étais désireux de faire partager d’une culture à l’autre.
5- Comment vous choisissez les livres à traduire ? Autrement dit pourquoi vous préférez tel titre à d’autres ?
Les choix sont faits avec les éditeurs, nous nous parlons de nos coups de cœur et cherchons les voix qu’il serait littérairement intéressant de faire entendre. J’aime bien aussi les romans qui nous plongent en immersion dans des cultures ou des milieux différents, j’ai ainsi adoré traduire « Les corps célestes » de l’écrivaine omanaise Jokha Al Harthi, ou encore « Le collier de la colombe » de la romancière saoudienne Raja Alem, un roman noir qui se déroule à… La Mecque.
6-Vous avez traduit quelques titres de Naguib Mahfouz et des auteurs plus contemporains ; quels sont les points communs et les points de divergence entre les deux périodes littéraires ?
À vrai dire, Naguib Mahfouz était un vrai novateur, qui n’a jamais cessé d’explorer tous les genres, donc même s’il est aujourd’hui classé parmi les « anciens », c’était un moderne dans l’âme. La jeune génération – Ahmad Alaidy, Nael Altoukhy (qui dynamite la légende dorée d’Alexandrie) ou dernièrement Muhammad Aladdin – a peut-être apporté un esprit plus subversif et plus nihiliste..
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7-Qu’est ce qui constitue pour vous une contrainte ou une difficulté dans l’acte de traduire ? Trouver le juste mot, le fond du récit, les codes culturels, les procédures et cessions de droits, l’édition … ?
Au-delà des prérequis fondamentaux (comme de restituer le contexte et le sens exact), la vraie difficulté est de trouver l’équivalence littéraire capable de faire ressentir au lecteur la même émotion que s’il lisait le texte original, et cela en oubliant qu’il lit une traduction. À mon avis, c’est à cela qu’on reconnaît une traduction réussie, ce qui est assez paradoxal quand on y pense, car cela signifie que la traduction doit avoir beaucoup de personnalité tout en étant la plus discrète possible.
8-Vous êtes aussi romancier ; quelle est la grande différence pour vous entre traduire et écrire un roman ?
Pour moi il y a beaucoup de similitudes (dans les deux cas on traduit des idées ou des sentiments en mots), ce qui fait ipso facto du traducteur un écrivain. La grande différence cependant, c’est que le romancier doit non seulement créer des personnages, mais surtout mettre en place une construction – une tâche qui est épargnée au traducteur. C’est la partie qui m’a le plus fasciné lorsque je me suis essayé à l’invention romanesque.
9- Vos romans (Le Caire à corps perdu, La Colombe et le moineau) sont un pont entre la France et l’Egypte ; comment vous voyez et vivez cet entre-deux, ce dialogue des deux rives ?
J’aime beaucoup l’idée de naviguer entre les deux rives, non seulement parce que les cultures ont tout à gagner à se découvrir l’une l’autre. On le voit bien dans l’époque actuelle de repli sur soi, de crispation et de rejet de l’autre qui aboutit à une régression culturelle sans précédent. Dans ces conditions, connaître l’autre est le seul moyen d’avancer et d’aller vers un monde plus harmonieux…
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Khaled Osman est né en Egypte et a grandi en France. Il est traducteur et romancier. Son premier texte traduit est « Le voleur et les chiens » de Naguib Mahfouz. Il est auteur de deux romans : Le Caire à corps perdu et La Colombe et le moineau parus aux éditions Vents d’Ailleurs.
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Propos recueillis par TAWFIQ BELFADEL