Un chien de rue bien entraîné – de Muhammad Aladdin : éloge de l’érotisme en Égypte

Publié en 2014 en langue arabe,  Un chien de rue bien entrainé  vient d’être  traduit en langue française par le romancier égyptien Khaled Osman, publié par Actes Sud en février 2022.

Ahmad est un jeune égyptien qui écrit des scénarios érotiques pour un  site Internet. En retour, il est rémunéré en dollars. « Moi  j’étais pratiquement orphelin : ma mère était décédée depuis déjà longtemps, quant à mon père, il vivait dans une autre ville loin de nous » (p 21)

Vivant chez sa tante, il passe une vie simple, voire banale. Autour de lui, il y a : Alaa dit Loule son ami passionné de cinéma, Abdallah le grand consommateur de drogue, Névine son amante. Mariée à un homme vivant au Golfe, celle-ci s’adonne aux relations sexuelles libres malgré son mariage et sa situation financière très aisée. Leur point commun: l’isolement. « Ajoutons que Névine est passée par une période de maitrise totale de son pouvoir de séduction »  (p58)

Un jour, Névine est agressée par un jeune homme qui avait rendez-vous avec elle ; il lui confisque sa voiture, ses cartes bancaires, la filme, et demande une grande somme d’argent comme rançon.

Comment Ahmad réagira-t-il pour sauver son amante ? Pourquoi n’est-il plus payé pour ses scénarios ?

Cliquez ici pour découvrir d’autres livres et articles relatifs à l’Egypte

Le roman fait d’abord l’éloge de l’érotisme en Egypte, ce qui sous-entend aussi le monde dit « arabe ». Le narrateur livre des scènes détaillées, osées, et cite une kyrielle de noms d’actrices du porno. Les premières phrases du récit sont commencent ainsi: « Pénétration. Croupe heurtant le volant. Halètements. Pénétration. » (p7)

Parler d’érotisme c’est dévoiler et fustiger l’hypocrisie de la société qui couvre ce sujet du voile de tabou mais pousse les gens aux pires pratiques clandestines.  Le roman déconstruit ce tabou avec audace et ironie. Le profil de Névine est un bon exemple : mariée, laissée par son mari qui s’enrichit au Golfe, elle se livre aux relations libertines. Le choix de ce personnage « dérange »  tant de lecteurs, mais il n’est pas fortuit : il miroite une vérité tue, niée, celle de la place primordiale de l’érotisme en Egypte et le monde « arabe ».

Ainsi, le roman peint une autre Egypte, faite  de bagarres dans la rue, d’arnaques, de violence, d’hypocrisie, de chômage…Une Egypte sans faux-semblants. Par exemple, Ahmad est diplômé en lettres mais, faute d’emploi, il trouve des difficultés pour survivre et écrit des scénarisons érotiques à bas prix …« Elle (bagarre) me semblait emblématique de l’état général de cette ville : un brouillon  inachevé » (p85)

La fiction rend également hommage à la génération  des années 1980-1990, celle qui constitue l’enfance de l’auteur. Par ailleurs, c’est un hommage au cinéma : le narrateur s’attarde sur l’histoire du cinéma égyptien, cite tant de films et de comédiens. La première phrase  du livre mise en exergue est tirée d’un film.

L’auteur efface la frontière entre fiction et réel, narrateur et lecteur, en utilisant cette phrase récurrente « ami lecteur ». En interpelant le lecteur directement avec le pronom TU, le roman assure un phénomène de distanciation comme dans le théâtre brechtien. Ce fait n’est pas fortuit ; il montre qu’il n’y a pas de frontière entre réalité et fiction, et captive l’attention du lecteur en l’appelant à s’investir dans l’univers fictionnel.

La traduction, faite par le romancier égyptien Khaled Osman, est agréable. Le traducteur a su transmettre de l’arabe vers le français à la fois la forme et le fond. Les notes servent largement à la lecture.

Sobre et audacieux, trouvant sa force dans l’humour et l’ironie, embelli par une belle structure fragmentaire, Un chien de rue bien entrainé est un éloge de l’érotisme, et miroir d’une catégorie de la société égyptienne.

***

Point fort du livre: plume audacieuse.

Belle citation: « Moi  j’étais pratiquement orphelin : ma mère était décédée depuis déjà longtemps, quant à mon père, il vivait dans une autre ville loin de nous » (p 21)

L’auteur: Né au Caire en 1979, Muhammad Aladdin est l’auteur de quatre recueils de nouvelles et de six romans . Il est l’un des célèbres écrivains de langue arabe  actuels.

Un chien de rue bien entrainé, Muhammad Aladdin, Actes Sud, trad. (arabe) par Khaled Osman, coll. Sindbad, France, 2022, 128p.

Par TAWFIQ BELFADEL

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :