L’échelle de la mort – de Mamdouh Azzam: traditions meurtrières en Syrie

Le roman L’échelle de la mort de l’écrivain syrien Mamdouh Azzam , publié d’abord en 1989, a été publié en 2020 en langue française.

L’histoire a lieu dans une région  rurale, quelque part en Syrie. La domination masculine et le respect sacré des traditions ancestrales persistent dans ce lieu enfermé et isolé. Désobéir  aux coutumes  ou au patriarche,  c’est subir  vengeance et châtiment.

Dans  ce lieu désertique, Salma passe une enfance malheureuse. Laissée par sa mère, elle grandit  ensuite auprès de son oncle Sayyâh. Adolescente, elle est mariée à un homme qui ne voit en elle que le sexe. Son mari  finit par voyager vers l’Amérique, la laissant seule entre les griffes d’une belle-mère jalouse et acariâtre.

Un jour, Salma  rencontre le jeune Abdelkrim et tombe amoureuse de lui. Malgré les conséquences dangereuses, elle suit aveuglément ses sentiments. Après des rendez-vous discrets, les amoureux décident de fuir pour vivre leur passion librement. « Elle avait préféré se laisser aller à un amour coupable, soulevant comme une tempête de sable dans sa vie »  (p57).

Les amoureux sont dénoncés ;  Sayyâh et la famille récupèrent Salma, celle qui a défié son orgueil de patriarche et souillé l’honneur de toute la famille et la tribu. Pour châtiment, ils l’enferment dans une cave pour qu’elle meure  lentement, dans le silence et l’indifférence. Alors qui  vaincra à la fin, l’amour ou la mort ? Abdelkarim parviendra-t-il à sauver son amoureuse ou sera-t-il puni à son tour ? Et si les sentinelles des traditions étaient des gens noyés dans l’hypocrisie ?  

Pour découvrir d’autres livres en relation avec la Syrie, cliquez ici: Lettres de Syrie

Le roman peint un crime d’honneur dans un milieu où règnent les traditions aveugles. Cela rappelle les histoires d’amour classiques et universelles  représentant des amoureux  défiant les forces qui tentent de les désunir : Tristan et Yseult, Roméo et Juliette, Chimène et Rodrigue, Majnoun et Leila…  « Elle avait rompu les liens les plus sacrés, déçu les siens, saigné leur honneur, enfoncé leurs têtes dans la boue. » (p 57)

Mais ce thème classique n’est qu’un prétexte dans le roman, une couche superficielle. L’auteur explore   la puissance de l’amour dans un climat de traditions et d’interdits.  De temps en temps, le narrateur évoque des histoires d’inceste et d’amours interdites…Par exemple, Sayyâh qui est l’incarnation de la tradition, trompe sa femme avec une femme mariée qui secoue ses sentiments. La belle-mère de Salma, Sittelhusn, couchait avec son beau-fils, le vrai époux donc de Salma, qu’elle aime éperdument.

Sous le règne des traditions ancestrales, l’amour interdit est synonyme d’hypocrisie. Les hommes qui soumettent  leur épouse et leur fille, couchent avec d’autres femmes. Les épouses trahies le savent mais  se murent dans le silence comme le dicte la tradition.   « Ainsi, Sayyâh se trouva libre de ses mouvements, considérant le silence de sa femme comme un consentement tacite à user de son droit d’homme et de patriarche » (p54.)

Ainsi, les traditions étouffent  principalement le deuxième sexe. Tellement habituées à la soumission et au machisme, les femmes de la région prennent les coutumes pour une norme. « Celui qui enlève son habit prend froid. Les coutumes de nos ancêtres sont notre habit » (p 97), dit un personnage.

Derrière l’amour interdit et la soumission, il y a aussi l’image du gouvernement despotique qui interdit le communisme et toute forme d’opposition. Çà et là, le narrateur évoque des personnes emprisonnées à cause de leurs opinions contre ce gouvernement « traditionnel, ancestral » comme la tribu.

La structure du roman est attirante. En balançant sans cesse du passé proche au passé lointain, le  narrateur omniscient installe le suspens et captive le lecteur. Certaines phrases sont poétiques. 

La traduction est agréable. La traductrice a su transférer l’intrigue, les descriptions,  les sentiments des personnages, et les belles métaphores. Le lecteur a l’impression que le roman a été écrit directement  en français.

Le choix du lieu (une région druze de la campagne  syrienne) fait allusion à la province natale de l’auteur : Suwayda, dite aussi Soueida, une région peuplée de Druzes. L’auteur s’est inspiré donc de son propre entourage pour installer le décor romanesque.  

Pour des lectures croisées et comparées , il est utile de lire les œuvres (écrites directement en français) de Mbarek Beyrouk qui remet en cause les traditions en Mauritanie avec des romans pleins de poésie, et de parcourir aussi le roman (traduit de l’arabe)  La Nuit de noces de Si Béchir d’Habib Selmi où il est aussi question d’amour, de traditions, et de soumission, dans une région de la campagne tunisienne.

Court et puissant , embelli de subversion et de poésie, L’échelle de la mort confronte rébellion et tradition. C’est aussi une critique acerbe de l’hypocrisie et du  despotisme. Doux-amer, clair-obscur, le roman est une désacralisation de l’interdit et un éloge de la liberté.

***

Point fort du livre: la structure narrative.

Belle citation: « Elle avait préféré se laisser aller à un amour coupable, soulevant comme une tempête de sable dans sa vie »  (p57).

L’auteur: né en 1950, Mamdouh Azzam est un écrivain syrien de langue arabe. Son roman Le Château de pluie (Qasr el-matar en arabe) a été condamné par une fatwa puis censuré.

L’échelle de la mort, Mamdouh Azzam, éd. Actes Sud, coll. Sindbad, trad. (arabe) par Rania Samara, France, 2020, 112p.

Par TAWFIQ BELFADEL

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