La peur au milieu d’un vaste champ – de Mustafa Taj Aldeen Almosa: la Syrie entre la vie et la mort

Le livre réunit 32 textes choisis parmi des recueils de nouvelles publiés entre 2012 et 2020, traduits de la langue arabe.

Pour lire un autre livre en relation avec la Syrie: Le dernier Syrien d’Omar Youssef Souleimane

Le recueil  de Mustafa Taj Aldeen comprend différentes histoires : de ce rat qui sauve des êtres peints dans des tableaux, à ces hommes  vivants dont les noms sont publiés dans la liste des décédés dans  un journal, en passant par cet homme transformé en épouvantail par le génie d’une vieille théière…

Le recueil peint des thèmes dont certains sont très récurrents : la guerre, la mort, et l’amour. La guerre sert de décor  à plusieurs nouvelles. Elle est représentée sous forme de bombardements et de balles. Elle contraint aussi les habitants à l’exil, souvent en Turquie, où à l’enfermement dans une chambre ou un sous-sol. «  Cela faisait deux mois que j’étais sur le point de quitter cette ville avec ma mère, car la guerre était devenue de plus en plus horrible (…) ». (p120).

Elle sert souvent  à introduire le fantastique : des cadavres qui se réaniment, apparition de  fantômes, métamorphoses…Par exemple dans la nouvelle  Le Juge de l’exécution capitale, les personnes tuées par  pendaison reviennent à la vie pour tourmenter le juge qui les condamnées.     

La mort est omniprésente. « La mort vit dans mon imagination. Et moi je vis dans la pensée de la mort. Chaque jour mon cœur meurt mille fois. » (p  86). Parfois,  elle est ordinaire, vraisemblable, comme les victimes d’un bombardement. Très souvent, elle est surnaturelle, absurde, étrange ; par exemple,  en temps de guerre, un homme et son amante sont  découverts par son épouse ; la jeune fille se fige, devient une vraie statue, et se brise par chagrin.

L’amour est aussi présent dans le recueil et  traverse plusieurs nouvelles. Il symbolise la vie, la jouissance, l’insouciance en temps de guerre.« Dès le début de la guerre, il avait passé ses nuits à boire et à chanter d’une voix horrible jusqu’au matin, puis il dormait toute la matinée (…)» (p152).  Aimer c’est fuir la  guerre. Souvent, les histoires d’amour sont  marquées d’étrangeté, à mi-chemin entre réalisme et fantastique.  Une nouvelle  présente un personnage qui tombe amoureux d’une femme peinte dans un  tableau ; dans un autre texte, un homme tombe amoureux d’un genou d’une femme étrangère…

L’auteur mêle habilement divers genres : le réalisme, l’absurde, le fantastique, le conte, la parabole,  la science-fiction… Dans un même  texte, on glisse d’un genre à l’autre. Cette cohabitation des genres donnent de l’originalité et de la beauté aux textes.  

L’auteur anime les objets et les animaux.  Un rat doué de sentiments et d’intelligence sauve des êtres peints dans des tableaux. « Le rat sentit son cœur écrasé, ou plutôt anéanti, en imaginant le sort misérable de cet homme au bras amputé. » (p21).

La peinture est omniprésente : de temps en temps, l’auteur insère un tableau dans une intrigue. Les toiles ne sont pas de simples objets, mais des « êtres » qui regardent, sentent, et bougent. Par exemple dans la nouvelle L’Insurrection d’un serpent,  un serpent peint sort du tableau après la mort de l’artiste. En évoquant souvent la peinture, l’auteur rend hommage aux « habitants » des tableaux qui sont les seuls épargnés par la guerre et ses conséquences. Dans une nouvelle, l’auteur introduit cette dédicace : « Aux habitants des tableaux ».

Si certaines nouvelles ont lieu en Syrie, d’autres sont universelles. L’auteur fait référence aussi à des textes universels comme La Belle au bois dormant, Cendrillon, Aladin et la lampe merveilleuse, ou la sorcière à balai. Ainsi, l’auteur n’enferme pas son imagination et sa plume dans cette Syrie déchiquetée par la guerre : il s’adresse depuis ce pays au  reste du monde.

Dans certains textes, le narrateur s’adresse au lecteur : l’effacement de la distance entre fiction et réalité, comme au théâtre de Brecht. Cette technique attire davantage l’attention du lecteur et l’incite à s’investir dans le texte. «  Cher lecteur, je te conseille de ne pas lire ce conte »  (p124.)

La traduction est claire et agréable, transportant de l’arabe à la fois les fictions et le côté esthétique embelli par la diversité des genres, formes, et outils.

Le recueil présente des nouvelles brèves, embellies par le croisement des genres, à la lisière du vraisemblable et du surnaturel. Un éventail bariolé où se mêlent les genres et  les sentiments. C’est une satire contre la peur et la mort, et un sensible  hommage à la vie en temps de guerre.

***

Point fort du livre: le croisement des genres.

Belle citation: « La mort vit dans mon imagination. Et moi je vis dans la pensée de la mort. Chaque jour mon cœur meurt mille fois. » (p  86)

L’auteur :  né en 1981 en Syrie,  Mustafa Taj Aldeen Almosa est nouvelliste et dramaturge. À cause de la répression, il s’expatrie ne Turquie. Ses nouvelles sont traduites dans plusieurs langues.

La peur au milieu d’un vaste champ, Mustafa Taj Aldeen Almosa, éd. Actes Sud, trad par Amal Albahra/Patrick de Bouter, Coll. Sindbad, France,2020, 208p.

Par TAWFIQ BELFADEL

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