Les révolutions qui ont ébranlé le Maghreb et l’Orient sont devenues une source d’inspiration pour les écrivains ; les livres, mêlant réel et fiction, deviennent des cris de lutte et de liberté. On peut parler désormais d’une « littérature des révolutions ».
Le dernier Syrien présente des jeunes citoyens dans cette Syrie de 2011 secouée par la révolution contre Bachar Al-Assad et son système corrompu. Les lieux principaux sont Damas et Homs. Ainsi, pro-régimes, opposants, neutres, islamistes, et traîtres, tous cohabitent dans ce pays en désordre où règnent les bombardements, les interpellations, la torture, et les balles des snipers…
Youssef, Mohammed, Joséphine, Sarah, Bilal, Khalil ont malgré l’amitié des visions différentes de cette nouvelle Syrie. « En mars 2011, quand Youssef participa à la première manifestation à Damas, il eut l’impression que le cri de liberté poussé contre le régime d’Al-Assad, après quarante ans de silence et de peur, était un miracle plus puissant que celui du prophète.» (p08)
Dans ce climat de révolte et de sang, Youssef et Mohammed vivent leur passion homosexuelle ; Khalil et Joséphine s’aiment ; Sarah est fiancée…Avec leur espoir et leur détermination, ces jeunes Syriens seront-ils épargnés par les pièges et horreurs du régime ? L’amour et la liberté l’emporteront-ils sur la dictature?
Le roman est une fiction sur fond d’un événement réel : la révolution de 2011 en Syrie. Mariant réel et fiction, le roman présente des visions différentes de la Syrie à travers le regard des personnages : Mohammed ne s’intéresse qu’aux relations homosexuelles et à la lecture, désintéressé par la révolution; Youssef et Joséphine luttent pacifiquement en organisant des manifestations et en rédigeant des rapports ; Bilal lutte auprès des islamistes qui veulent instaurer un Etat islamique…Malgré la belle amitié, chacun donc défend sa liberté, sa vision de la liberté. « Ils nous appellent traitres, infidèles, hérétiques parce qu’ils ne savent pas encore ce que signifie être libre » (p71.)
Le roman peint d’autres thèmes qui complètent celui de la lutte pour les libertés et la démocratie. Il y a d’abord le conflit générationnel dû aux traditions que les anciens veulent faire perpétuer. Assoiffés de liberté, les jeunes fustigent toute tradition. Ils fument les joints, boivent, vivent leur sexualité librement… « Nos parents ont été éduqués avec l’interdit, ils sont ridicules. (…) Mais il faut qu’ils nous laissent vivre la notre » (p43).
Ensuite, la religion est omniprésente. Le roman commence par l’histoire du prophète Youssef (Joseph) et évoque sunnites, chiites, alaouites, chrétiens, laïcs, islamistes…Toutes les différences cohabitent dans le livre ; l’ennemi commun est Bachar. « Mais il y a aussi parmi nous des Kurdes et des chrétiens. Il faut en tenir compte » (p126.)
L’auteur rend un fervent hommage aux homosexuels qui sont persécutés, effacés dans le pays. À cause de son penchant sexuel, Mohammed perd sa fiancée Sarah, se fait maudire par son père, et subit des coups violents d’agresseurs…; çà et là, l’auteur insère des citations sur l’homosexualité en Orient dans les temps anciens pour prouver que ce fait est présent depuis la nuit des temps et que ce n’est pas une « anomalie » moderne : un goût qui traverse les siècles.
La langue est simple. L’auteur traite avec engagement et audace des sujets sensibles, tabous dans son pays natal et tout l’Orient: la dictature, la torture, l’homosexualité… « Ce sont les séances de torture et les repas qui rythment nos vies désormais » (p170). Le roman mêle habilement le style fragmentaire comme chez beaucoup de romanciers égyptiens ( fragments indépendants qui constituent ensemble un même système romanesque), et l’épistolaire.
L’auteur a glissé certains éléments autobiographiques au sein de la fiction. Une ruse pour se dire à travers le regard des personnages. Comme eux, il dénonce le régime despotique de Bachar et lui aussi a choisi l’exil (La France)… « Nous sommes 23 millions de migrants à l’intérieur de notre pays et le double à l’extérieur » (p249).
Lecture croisée et littérature comparée : Le dernier Syrien écrit directement en français constitue un corpus propice à côté de J’ai couru vers le Nil d’Alaa El Aswany écrit en langue arabe (cliquer sur le titre pour lire la critique); les deux romans explorent la lutte des jeunes pour les libertés en temps de dictature, avec audace, subversion, et forme fragmentaire.
Simple et profond, sensible et percutant, Le dernier Syrien et un cri de colère contre tous les interdits et un poignant hommage pour toutes les libertés. C’est surtout un éloge de la jeunesse qui était le cœur de la révolution syrienne.
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Point fort du livre : plume engagée.
Belle citation : « Je crois que si on était libre sexuellement, si chaque homme et chaque femme pouvait vivre ses passions, la guerre prendrait fin. Plus personne n’aurait envie de tuer qui que ce soit. Noyée dans le désir, la violence devient une idée vide » (p204.)
L’auteur : né en Syrie 1987, Omar Youssef Souleimane est un poète et journaliste. Son récit Le petit terroriste (2018), a été adapté pour le théâtre. Le dernier Syrien est son premier roman. Il vit en France.
Le dernier Syrien, Omar Youssef Souleimane, éd. Flammarion, France, 2020, 272p.
Par TAWFIQ BELFADEL
2 commentaires sur « Le dernier Syrien – d’Omar Youssef Souleimane: amour et liberté en temps de révolution syrienne »