Le ciel sous nos pas – de Leïla Bahsaïn : être femme libre et faire du ciel une terre

Il s’agit du premier roman de Leïla Bahsaïn.

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Quelque part au Maroc, la jeune fille-narratrice vit avec sa sœur Tifa et sa mère officielle qui travaille dans le commerce de la contrebande (femme-mulet). La narratrice passe son temps sur son perchoir à observer la place de la Dame Libre et à rêver. Plus elle grandit, plus ses rêves grandissent. Adolescente, elle découvre son corps, l’amour, et les chemins de la liberté. Elle avance doucement vers ses rêves. Pour elle tout se paye, il ne suffit pas d’observer. Elle agit sans compter le regard des autres.

Commence ensuite la solitude. Son amie Kenza meurt dans un accident. Sa sœur Tifa est mariée à un émigré et vivra ailleurs, en France. La mère officielle décède. La jeune fille prépare ainsi son départ vers le nombril du monde, de l’autre côté de la petite mer pour rejoindre Tifa. Celle-ci vient de divorcer et d’épouser un intégriste qui rêve de tuer l’Occident mécréant.

La narratrice est déçue. Ce n’est pas la France qu’elle a connue à travers ses lectures et dont elle a longtemps rêvé. La métamorphose intégriste de sa sœur et de son mari doublent son malaise. La nostalgie l’envahit : elle rêve de la place de la Dame Libre où elle était plus libre qu’ici.

Malgré les amitiés qui la soutiennent en France, la narratrice ne se retrouve pas dans cette géographie et pense au retour pour réaliser un projet d’alphabétisation des femmes. Réussira-t-elle à s’adapter à cette nouvelle vie en France ou bien choisira-t-elle le retour ?

L’auteure exploite le thème de la liberté sous un angle philosophique. La liberté est une construction. Il faut agir pour être et dépasser le fait d’exister (existentialisme). « La liberté ne s’offre pas, elle s’arrache, elle se dérobe, elle se gagne et se paye à la sueur du corps ». La narratrice le prouve avec cette phrase répétée tant de fois « tout se paye. ». Au Maroc ou en France, elle ne se contente pas de rêver. Elle décide et agit. Rebelle, elle piétine surtout toute tentative de soumission.

L’auteure peint aussi une équation abstraite pour mieux illustrer le thème de la liberté : liberté-géographie. La fiction montre que la liberté n’est pas réductible à la géographie : on peut être libre dans un espace pauvre et minuscule, comme on peut être soumis dans un espace immense et développé. La narratrice se sentait libre au Maroc malgré les petits moyens, et se sentait étouffée en France. Les noms illustrent bien cette équation : la place de la Dame Libre (Maroc) symbolise la liberté, et la cité des Petits-Nègres (France) symbolise esclavagisme et soumission. Bref, la liberté n’est pas un don, mais une construction cérébrale qui défie la géographie.

Le thème de la liberté inclut impérativement les réflexions sur le féminin et le corps. La narratrice fustige surtout l’obscurantisme dans tous ses états, notamment le voile intégral qu’elle décrit avec moquerie. « Cacher mon visage, je refuse. L’accoutrement de Tifa est une bâche noire qu’elle jette comme sur un étal de marchandises par-dessus sa nuisette ou sa robe moulante H&M pour se transformer en fantôme. Métamorphose d’une nymphe en zombie. Objet ambulant. Parasol sombre plié debout sur un trottoir par temps de grisaille. » (p147).

La spiritualité est omniprésente grâce au thème de la religion, et à l’insertion de versets coraniques et des poèmes soufis. Pour la narratrice, l’obscurantisme a sali la spiritualité qui est amour et liberté. « La spiritualité n’est elle donc plus que tristesse, interdits et privations, pratique sectaire, ascèse et exclusion ? » (p193).

Le lexique est à double tranchant : à la fois plein d’humour et d’audace. Les mots passent de la légèreté à la cruauté. Le vocabulaire économique est primordial : la narratrice analyse les enjeux du commerce et de la publicité. La poésie a aussi sa place et certaines phrases, tellement belles, passent pour des poèmes.

L’auteure a glissé discrètement des fragments autobiographiques. D’abord, comme sa narratrice, Leïla Bahsaïn vit entre deux rives: France-Maroc. Elle a fait aussi des études dans la communication ; sa narratrice s’intéresse à la publicité et au marketing. Elle s’occupe en outre d’une association d’alphabétisation au Maroc ; sa narratrice s’engage dans une association pareille. Autrement dit, dans ce personnage fictif, il y a une partie de l’auteure.

En somme, Le ciel sous nos pas est une quête éternelle de liberté. Etre libre toute sa vie; Faire du ciel une terre. C’est aussi un sensible hommage au féminin et à l’amour aux temps où règne l’obscurantisme. Doux et profond, le roman pose un questionnement philosophique sur le thème de liberté dans deux sociétés différentes. Un beau roman-mosaïque !

***

Point fort du livre: le fond philosophique.

Belle citation: « La liberté ne s’offre pas, elle s’arrache, elle se dérobe, elle se gagne et se paye à la sueur du corps »

L’auteure : Leïla Bahsaïn est jeune écrivaine franco-marocaine. Elle a travaillé dans la communication. Elle s’occupe de Zitoun, association d’alphabétisation des femmes au Maroc. Ses nouvelles ont été récompensées au Maroc. Elle vit en France.

Le ciel sous nos pas, Leila Bahsaïn, éd. Albin Michel, 2019, 240p.

  • Note: cet article a été publié auparavant par le même rédacteur dans un autre média.

Par TAWFIQ BELFADEL

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