Après « La moustache » et « Gratte-ciel », « Un grand seigneur » est le troisième roman de Tahsin Yucel publié par Actes Sud (2021).
Le narrateur-personnage est un jeune Turc issu d’une pauvre famille de la campagne. Grâce à un collège d’école, il se lie à la famille de celui-ci ; les Konuralp réputés par leur bourgeoisie et leur soif des affaires. Là, il découvre leur fille Aybike ; ils s’aiment l’un l’autre mais le père Mukrimin refuse la demande en mariage du jeune homme. « C’est mon père qui décide…Si c’est non, alors c’est non. Le sujet est clos » dit-elle. (p22).
Des années plus tard, le jeune devient un haut fonctionnaire. Aybike est mariée à un étranger.
Après des décennies, la blessure encore ouverte, le jeune accepte les invitations de Murkimin et se rend chez lui tant de fois. Quel est le but de ces visites ; nouer des affaires ou planifier une revanche ? Et si la passion des amoureux séparés renaissait-elle de ses cendres ?
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Le roman peint d’abord une belle histoire d’amour interdit qui rappelle le Cid de Corneille ou Le Rouge et le Noir de Stendhal. Le jeune homme et Aybike s’aiment mais leur union est refusée par le père. Cependant, des décennies après, maman déjà, la jeune fille rencontre son ancien amoureux et ravive leur passion.
Au-delà de cette passion, le roman explore la Turquie d’aujourd’hui et ses déchirements ; la fiction représente la lutte des classes (pauvre-bourgeoise) et le conflit entre les nostalgiques de l’Empire Ottoman et les défenseurs de la République née avec Atatürk. Le jeune narrateur est attaché fortement à ses principes et à son nationalisme. « Je dénonçai le pillage généralisé et la pensée unique, parlai patriotisme économique et dignité nationale » (pp60-61).Nostalgique de l’Empire, Mukrimin se dit Ottoman pas Turc et courtise les étrangers pour sauver ses affaires; raison pour laquelle il a marié ses filles à des étrangers (Allemand et Américain).
L’auteur s’est inspiré de sa vie et son entourage pour écrire ce roman. Il est lui aussi originaire de la campagne de l’est de Turquie. En tant qu’enseignant de sémiotique, il a joué sur le sens des noms des personnages qui sont pour la majorité d’origine ottomane.
Simple et bref, Un grand seigneur peint une belle histoire d’amour et les déchirements de la Turquie oscillant entre passé et présent.
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Point fort du livre: le fond historique
Belle citation: « Je dénonçai le pillage généralisé et la pensée unique, parlai patriotisme économique et dignité nationale » (pp60-61).
L’auteur: Tahsin Yücel (1933-2016) est un écrivain, universitaire, et traducteur turc. Disciple de Julien Greimas, c’est lui qui a introduit la sémiotique en Turquie.
Un grand seigneur, Tahsin Yucel, Actes Sud, trad (turc) Pierre Pandélé, France, 2021, 96p.
Par TAWFIQ BELFADEL