Après plus de cinq ans d’absence (Fils de Schéol -2015), Anouar Benmalek publie son nouveau roman, L’amour au temps des scélérats (Emmanuelle Collas 2021).
La fiction a pour lieu principal la Syrie déchiquetée par la guerre et la barbarie ; un théâtre d’attentats, de tortures, de factions, de miliciens, de pro-pouvoir, d’opposants, de viols, de jihadisme… « De toute manière, ce pays est encore plus indéchiffrable que dans ses pires cauchemars » (p222)
Dans ce chaos, les personnages et faits sont nombreux. Il y a l’étrange Tammouz : dieu, prophète, djinn, ou sage…Après un incident avec son Dieu, il erre à la recherche d’une tablette sumérienne, cultivant le souvenir de son amour Innana.
Il y a Zayélé, mère yézidie de deux fils, Reben et Aran. Elle est enlevée par les jihadistes, devenue une esclave sexuelle ; ses enfants sont emmenés dans un camp terroriste pour faire des attentats. La maman fait tout pour sauver ses enfants.
Il y a Yassir et Houda, deux amoureux condamnés par le califat. Sauvés par Tammouz, ils suivent ce dernier, Houda espérant réaliser son grand rêve : devenir une diva de la chanson orientale.
Les personnages et faits se séparent et se croisent. Tout se mêle : peur, amour, vengeance, violence… Alors aboutiront-ils aux objectifs de leurs diverses quêtes dans ce pays-chaos ? Le beau et l’amour l’emportent-ils sur la barbarie ?
Le roman n’est pas un livre sur la guerre en Syrie ou les conflits du Moyen Orient. C’est une fiction qui a pour arrière-plan, fond réel, la situation syrienne. Ainsi, réel et imaginaire se mêlent. Toutefois, bien que ce soit une fiction, le roman permet d’avoir une vision claire de la guerre en Syrie. Le roman fustige cette barbarie pleine d’hypocrisie , de sang, de crimes…Au de-là de la Syrie, la roman a un caractère universel: repousser la barbarie où qu’elle soit. « On entend plus de canons que d’oiseaux par ici…Les moineaux ont du émigrer par tribus entières quelque part en Europe ou en Amérique … » (p281)
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Amour et guerre sont deux faces de la même médaille. L’un nourrit l’autre. En pleine guerre, les personnages aiment, cultivent la passion : amour pour l’amante ou l’épouse ou les enfants…Ainsi, l’amour permet d’exorciser la barbarie. Zayélé tombe amoureuse de Pierre ; Adams tombe amoureux de Zayélé ; Tammouz pense chaque instant à son amour Innana ; Houda et Yassir sont follement amoureux l’un de l’autre…« Paradoxalement, son histoire d’amour virtuel et son irrésolution fournissaient à Zayélé un précieux antidépresseur de substitution, l’empêchant de céder totalement à la panique devant les évènements qui déchiquetaient son pays » (p68).
Qui dit amour dit beau. Le beau comme arme contre la barbarie ; un refuge, une survie. Houda devient célèbre chanteuse et fait des soirées enflammées de joie comme les divas Asmahan ou Oum Kaltoum. « Pourtant, dès qu’on s’est connus, Houda et moi, on a choisi de ne voir que la beauté du monde » (p41)
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Le roman rend hommage aux Yézdis, persécutés et diabolisés à cause de leur religion. Dans la partie « remerciements », l’auteur souligne bien cet hommage ; « leurs préoccupations (Yézédis)à la fois de malédiction et de consolation de l’humanité restent, à mon grand étonnement, bien actuelles dans la Mésopotamie ravagée par la guerre et la cruauté du XXI siècle » (p447).
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La religion est omniprésente. C’est elle qui est souvent la cause de la barbarie : attentats et haine au nom de Dieu …A travers une fiction, l’auteur fustige l’instrumentalisation de la religion, tourne en dérision les extrémismes et les mythes religieux comme celui d’Abraham. Par exemple, le chef d’un camp est un pédophile. En revanche, il célèbre la fraternité et la cohabitation . Toutes les différences se cohabitent (Kurdes, Arabes, Occidentaux). Adams est un Américain qui tombe amoureux de la Yézidie Zayélé. « figure-toi que moi aussi je suis sunnite…et un peu chiite en réfléchissant bien…et alaouite si on fouille bien …et …pas mal de choses par ailleurs » ( p260).
L’empreinte de Gracia Marquez est omniprésente. D’abord, le titre est largement inspiré de L’amour aux temps du choléra. Ensuite, la structure et l’écriture sont influencées par l’univers de Garcia surtout à travers l’insertion du merveilleux pour faire du réalisme fantastique (cas de Tammouz). Enfin, deux personnages sont épris de l’œuvre de Garcia. A travers son roman, Anouar Benmalek redonne vie à la la plume de Garcia Marquez à qui il fait un précieux éloge.
La structure est attirante. Il s’agit de fragments qui se séparent et se croisent. A la fin tous les personnages et faits se mêlent. La polyphonie rend le roman encore attirant. Le va-et-vient entre passé et présent brouille les repères et rend la fiction davantage intéressante.
L’auteur a puisé quelques fragments dans sa vie pour enrichir la fiction; Anouar était journaliste et a fait des reportages sur le Moyen Orient en guerre ce qui a motivé peut-être son choix thématique.
Dense et profond, sensible et humaniste, L’Amour au temps des scélérats exorcise la barbarie par l’amour et le beau. Hommage aux victimes des guerres et aux Yézédis, c’est un message universel d’humanité.
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Point fort du livre: la structure.
Belle citation: « On entend plus de canons que d’oiseaux par ici…Les moineaux ont du émigrer par tribus entières quelque part en Europe ou en Amérique … » (p281)
L’auteur: né en 1956, Anouar Benmalek est écrivain, poète, et conférencier . Ses livres sont ont un ample succès international. Il vit en France.
L’amour au temps des scélérats, Anouar Benmalek, éd. Emmanuelle Collas, France 2021, 434p
Par TAWFIQ BELFADEL