Après son récit Enjamber la flaque où se reflète l’enfer (2019), Souad Labbize publie son nouveau livre, Glisser nue sur la rampe (Blast/Barzakh ) 2021.
Le livre est un ensemble de sept fragments titrés. Les principaux personnages sont des femmes. Il y a cette jeune bru qui défie sa belle-mère acariâtre au temps de la colonisation ; cette maman qui décide de ligoter son fils pour l’empêcher de rejoindre les camps djihadistes en Syrie ; cette épouse qui décide de se venger de son mari en prenant l’argent de son commerce. « Elle n’aura plus à gérer la constante mauvaise humeur de Abdou, celui qu’elle appelle l’ghoul, l’ogre » (p40.)
Il y a aussi d’autres femmes qui luttent pour défier l’orgueil masculin. Alors quels seront les destins de ces femmes-Courage dans un monde misogyne ? Comment déconstruisent-elles le patriarcat et le machisme ?
Le livre est une fiction à caractère féministe. A travers des scènes et faits fictionnels, l’auteure déconstruit l’ordre machiste et ses composantes (misogynie, machisme, phallocentrisme, patriarcat…). Elle fustige les images de cet ordre : les interdits, la guerre qui prend la femme pour proie, la tradition meurtrière, etc. Par exemple, avec le fragment « Jaune », l’écrivaine remet en cause la loi hypocrite interdisant l’avortement en Algérie ; la femme va en Tunisie pour se faire avorter. « les jebbas de femmes n’ont rien d’autre à dissimuler que l’honneur de la tribu » (p63.)
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En plus de la désacralisation du machisme, le livre fait l’éloge du féminin à travers le combat des femmes et leur entraide. Les hommes sont désacralisés, réduits à des sujets passifs ; les femmes s’approprient le pouvoir. Par exemple, une maman confisque le passeport de son fils et décide de le ligoter pour l’empêcher d’aller en Syrie. Aussi : une infirmière défie la loi raciste envers les étrangers et sauve une Syrienne. « Tama se dit qu’elle peut, comme au temps de la fac, manger un sandwich en marchant, ce que son mari interdit quand ils sont ensemble » ( 41.)
Meme si chaque fragment est l’aventure individuelle d’une femme, chaque profil de ce livre renvoie au féminin collectif (ELLES, NOUS). Chaque personnage dit les autres comme s’il s’agissait d’une guerre commune contre le machisme. « Celles qui veuillent en sentinelles/ passent la nuit à enfiler /des éclats de songes » (p21.)
Ce qui appuie ce caractère féministe est la présence du personnage Shéhra qui rappelle l’héroïne des Mille et une nuits ; elle qui a su écraser l’orgueil masculin. Ainsi, avec son nouveau livre Souad Labbize ne fait que continuer son combat féministe à travers la plume, déjà tangible à travers les précédents titres en prose et en poésie.
La poésie est omniprésente. Chaque fragment commence par un petit poème. Au sein de la prose, la poésie est aussi présente, donnant plus de beauté au textes. « L’appel à la prière parvient des minarets des environs, c’est une histoire de cascades emmaillotant la ville des voix de muezzins invisibles » (p 54.)
L’auteure a inséré quelques fragments autobiographiques dans le livre sans faire de l’autobiographie : son Algérie, La Tunisie ou elle a vécu, son combat féministe, sa passion pour la poésie…Elle se dit à travers ses personnages de papier.
Bref et aiguisé tel un cri strident, embelli d’une belle poésie Glisser nue sur la rampe du temps est un livre qui déconstruit le machisme et fait l’éloge du féminin.
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Point fort du livre: écriture poétique
Belle citation : « Il faut glisser nue/ sur la rampe du temps/ enfiler la chemise de l’aieule/ pour comprendre » (p7)
L’auteure: née en Algérie en 1965, Souad Labbize est écrivaine, poétesse et traductrice. Son écriture a un caractère féministe. Son recueil de poèmes « Je franchis le barbelé » a reçu le Prix de Poésie Méditerranée 2020.
Glisser nue sur la rampe du temps, Souad Labbize, Blast éditions/ Barzakh , France-Algérie, 2021.
Par TAWFIQ BELFADEL