Après son essai sur sa détention, Je ne reverrai plus le monde , Ahmet Altan publie son nouveau livre, un roman, chez le même éditeur : Madame Hayat (Actes Sud 2021).
Fazil est un jeune étudiant, passionné de littérature. Il vit seul dans une chambre d’auberge, loin de sa mère. Son père, riche agriculteur, est mort suite à une décision gouvernementale qui a ruiné son capital. De la richesse à la pauvreté, Fazil estime perdre confiance en l’existence. « J’avais honte d’être pauvre et j’avais honte de mentir sur ma pauvreté » (p52)
Il trouve un petit emploi grâce auquel il rencontre la dame Hayat qui devient aussitôt son amante. Leur relation est profonde. Ensuite, il rencontre Sila qui devient son amoureuse. Etudiante en littérature, elle est issue d’une riche famille ruinée aussi par le gouvernement hostile.
Balancé entre deux femmes, Fazil découvre les gens et le monde avec un nouveau regard, le regard des pauvres, et surtout une Turquie drastique qui multiplie les arrestations injustes et l’oppression.
Qui choisira-t-il entre les deux femmes ? Choisira-t-il l’exil comme Sila pour fuir ce pays totalitaire ?
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Le roman peint le portrait d’une nouvelle Turquie où la vie devient impossible à cause d’un gouvernement qui étouffe les libertés et installe la dictature à tout prix. Le père de Fazil est mort à cause d’une décision gouvernementale. Le père de Sali a été ruiné à cause d’une raison absurde : un de ses collaborateurs a été opposant de l’Etat. Un journaliste, ami de Fazil, s’est suicidé pour éviter la prison…A travers une fiction, l’auteur dénonce la dictature et plaide pour les libertés ; domaine dont il est grand témoin.« Faire une blague sur le gouvernement est devenu un crime. Dorénavant, interdit de blaguer » (p79)
Le roman fait l’éloge de l’amour ; l’amour comme échappatoire, refuge, arme, contre la dictature. Ce qui rappelle le roman du même auteur L’amour au temps des révoltes. C’est grâce à l’amour que les trois , Fazil-Hayat-Sila- arrivent à calmer leur colère contre ce pays totalitaire. « On aurait dit que Dieu avait créé l’univers seulement pour divertir madame Hayat, et que ce plaisir suffisait à justifier sa Création » (p22)
En plus de l’amour, le livre fait l’éloge de la littérature. Fazil et Sila sont deux passionnés de littérature et c’est elle qui renforce leur amour. Aussi, le narrateur évoque souvent des livres, des écrivains, ou rapporte les cours de ses profs de littérature. Celle-ci est aussi un refuge contre l’horreur de la réalité turque qui empoisonne les personnages.« J’aurais aimé vivre dans ce monde-là, dans un roman de Flaubert » (p51).
L’auteur a glissé des éléments de sa vie dans le roman sans faire de l’autobiographie : son pays natal (Turquie), sa passion pour la littérature, son combat pour les libertés et son opposition au pouvoir (qui lui ont valu la prison), le journalisme incarné par le personnage du Poète…Altan se dit à travers ses personnes. « Un écrivain avait été condamné à la prison à perpétuité au motif que ses textes auraient ‘constitué une menace indirecte’ » (p210)
La traduction est agréable sur le fond et la forme. Le lecteur ne sentirait pas que le roman a été traduit du turc vers le français.
Sobre et profond, sensible et humaniste, embelli d’une écriture douce et audacieuse, Madame Hayat est un hymne à la liberté en temps de dictature.
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Ce roman a été primé par le Prix Fémina 2021.
Point fort du livre: roman engagé
Belle citation: « Le passé de quelqu’un est une chose dangereuse. Tu ne peux rien y changer, et si tu essaies, tu deviens son ennemi mortel, tu veux tuer ce passé. Mais pour pouvoir tuer le passé de quelqu’un, c’est la personne elle-même qu’il faut tuer ». (p184)
L’auteur : Né en 1950, Ahmet Altan est un écrivain et journaliste turc. Il a été emprisonné à cause des idées , libéré en 2021.
Madame Hayat, Ahmet Altan, éd. Actes Sud, trad. (turc) par Julien Lapeyre de Cabanes, France, 2021, 260p.
Par TAWFIQ BELFADEL