Après La nuit de noces de Si Bechir , Actes Sud publie la traduction du nouveau roman de l’écrivain tunisien Habib Selmi, « La voisine du cinquième », publié en langue arabe en 2020. Le roman a été déjà primé par le Prix Katara 2021.
Pour lire la critique du précédent roman: La nuit de noces de Si Bechir
C’est l’histoire de Kamal Achour, professeur à l’université, qui vit avec son épouse française Brigitte dans un immeuble parisien. Parmi ses voisins, il y a Zohra, domestique et femme de ménage tunisienne qui vit dans un étage supérieur avec son mari et son enfant. Petit à petit, Kamal commence à s’intéresser à cette dernière. « Comme si tout ce qui m’intéressait dans cette famille tunisienne était Zohra » (p21)
Elle devient sa femme de ménage ; Kamal commence avec elle un jeu de séduction qui s’amplifie au jour le jour. Certains évènements favorisent ce jeu et lui donnent un autre tournant émotionnel : le voyage de Brigitte en Espagne ; le conjoint de Zohra et leur fils entrent en Tunisie pour quelques mois…
Et si Kamal tombait-il amoureux de Zohra, sa femme de ménage ? A quoi aboutira leur jeu de séduction ?
Le roman peint une belle histoire amour embellie par l’étrangeté et le suspens qui traverse le roman du début à la fin ; le personnage-narrateur captive le lecteur qui cherchera dès les premières séquences à savoir ce qui se passerait par las suite entre Kamal et Zohra.
Le livre est aussi est un pont entre les deux rives de la Méditerranée : France-Tunisie. A l’exil et l’immigration se mêlent la nostalgie et les racines. Zohra parle de sa maison en cours de construction en Tunisie où elle compte retourner définitivement avec son mari. L’imagination (rêves, souvenirs,…) sert largement à bâtir ce pont entre les rives. « La question de mes propres obsèques et du rapatriement de ma dépouille en Tunisie a soudain ressurgi dans mon esprit » (p146)
Ainsi, contrairement aux romans qui reflètent le choc entre immigrés et Français sur le sol de France, ce roman reflète une belle cohabitation : Kamal le Tunisien vit en harmonie avec son épouse française ; Zohra est respectée par ses employeurs européens ; Kamal et Zohra ont assisté aux funérailles de leur voisine chrétienne Albert. Bref, le roman est un hymne au vivre-ensemble en paix.
Parler de Tunisie, c’est surtout parler de sa campagne et ses villages. L’auteur rend ici hommage à l’autre Tunisie, celle des villages qui l’ont vu naître. Le précédent roman aussi a pour repère spatial un bourg de la campagne tunisienne.
Par ailleurs, le roman est la preuve d’un grand travail psychologique sur les personnages. Le narrateur traduit avec détail ses pensées, explore les limites du doute et de l’obsession. À tel point que le lecteur peut facilement se mettre dans la peau-tête de Kamal. Ce travail psychologique est notamment favorisé par le questionnement et cette locution récurrente « peut-être ». En somme, le côté humain est mis à nu par le roman.
En outre, le roman est un hommage à la langue arabe et sa littérature, et notamment au grand romancier soudanais Tayeb Salih ; son livre « Noces de Zeyn » est un élément important dans ce roman et même dans la relation Kamal-Zohra. . « Merci Tayeb Salih, …sans le savoir, vous m’avez rendu service » (p103).

Le choix de l’immeuble n’est pas fortuit. Il permet de créer une petite société marquée par les différences culturelles, économiques, identitaires…Cela rappelle « L’immeuble Yacoubian » d’Alaa El Aswany.
Le livre a enfin un caractère féministe. Kamal partage avec plaisir les tâches ménagères avec son épouse : nettoyage, faire la vaisselle…Malgré le grand écart de leurs classes sociales, Kamal respecte sa femme de ménage Zohra et a des sentiments pour elle. Dire féministe, c’est aussi rendre hommage à la mère tunisienne, symbole de terre natale et de mémoire ; le père est absent.
Captivant, tissé par le suspens et le chaos des sentiments, La Voisine du cinquième est la miniature d’une Tunisie créée en France. C’est aussi un miroir de la condition humaine pétrie de sentiments contradictoires.
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Point fort du livre : le fond psychologique
Belle citation : « En un rien de temps, j’étais passé de la chose à son contraire. L’amour a une bien curieuse logique. Et l’âme humaine n’est que ténèbres. Un immense chaudron de passions et de revirements » (p186).
L’auteur: né à Kairouan en 1951, Habib Selmi est agrégé d’arabe et travaille à Paris depuis 1983. Il fait partie des meilleurs plumes de langue arabe. Parmi ses livres : Les Amoureux de Bayya (2003), La Nuit de l’étranger (2008), Souriez, vous êtes en Tunisie ! (2013.)
La voisine du cinquième, Habib Selmi, éd. Actes Sud, trad. (arabe) par Stéphanie Dujols, France, 2022, 200p.
Par TAWFIQ BELFADEL