Après « Le dernier Syrien » (Flammarion 2020) inspiré par la révolution syrienne, Omar Youssef Souleimane publie son nouveau roman chez le même éditeur, « Une chambre en exil ».
Lire la critique du précédent roman : le dernier Syrien
Le narrateur –personnage est un jeune Syrien qui vit seul à Bobigny. Athée, cultivé, passionné d’écriture et de poésie, il a fui la Syrie déchirée par la guerre. « C’est ma ville maintenant, il faut l’accepter telle qu’elle est. Ici comme ailleurs je suis chez moi, car je n’ai plus de chez moi. Etranger partout » (p 14)
A Bobigny, il cherche un emploi comme prof d’arabe, s’intéresse à sa voisine Violette, et discute avec des habitants aux origines maghrébines : un imam riche et puissant, un gérant de bar, un dealer…Il observe surtout la radicalisation islamiste qui avance tranquillement. Dans cette « autre France », la Syrie et ses souvenirs envahissent sa mémoire.
Violette lui donne l’occasion d’une rencontre ; l’imam lui propose un service à bon prix ; un ami lui trouve une chambre à Paris. Alors que choisira-t-il ? Comment voit-il cette « autre France » ?
Bien que ce soit une fiction, le roman est largement autobiographique. L’auteur Omar se dit à travers son personnage-narrateur. Il a vécu tant de choses comme lui : la dictature syrienne, la révolution de 2011, la fuite via la Jordanie, l’amour de la poésie et de l’écriture, ses expériences en France…Autrement dit, l’auteur s’est inspiré largement de son vécu et de son entourage, en ajoutant des touches de fiction. Un roman à la lisière de l’imaginaire et de l’intime.
Le roman est un pont entre la France et la Syrie, la culture européenne et celle islamique, entre passé syrien et présent français. Le narrateur dit à la fois cette France abimée par la radicalisation, le racisme, et la violence ; et cette Syrie mutilée par la dictature et la guerre.
Le roman fustige la radicalisation islamiste qui envahit la France et la rend « Une démocratie qui va mal » (p 91); çà et là, il y a une scène islamiste ; conférence entre salafistes, propagande, fatwas…
Le livre explore en outre un problème très présent en France ; le fait de réduire les gens qui viennent d’ailleurs à leur terre d’origine. Quiconque rencontre le personnage principal, lui pose des questions sur la guerre, la révolution, les origines arabes. Le champ lexical récurrent est : réfugié, exilé, immigré, arabe… Autrement dit, le roman fustige cette déshumanisation due au complexe identitaire.
Le roman est également un éloge de l’écriture et de la poésie qui permettent à ce personnage (sous-entendu l’auteur) de trouver l’équilibre, d’être heureux et libre, malgré le chaos et la laideur ici et ailleurs. C’est surtout un éloge de Paul Eluard, nom très récurrent dans le roman. « Ce poète est devenu l’exemple qui m’a permis de ne pas emprunter le chemin de la radicalisation, du salafisme, comme mes parents. » (p159)
Au-delà du contenu du roman, le livre est le combat d’un jeune homme, Omar Youssef Souleimane, qui a fui le pays avec mille dangers, qui est arrivé seul et « étranger » en France, qui a appris le français très tard ; et qui malgré tous ces écueils réussit son rêve-combat en écrivant des romans dans la langue d’Eluard. Il faut surtout respecter et saluer ce combat au lieu de se concentrer sur le mot-réducteur « Syrie ».
Sobre et percutant, tissé par des mots audacieux et poétiques, Une chambre en exil est l’histoire d’un Homme qui se cherche entre Syrie et France, entre passé et présent. Un bel hymne à la liberté !
Point fort du livre : roman engagé
Belle citation :« Voilà comment je vis mon présent dans la France actuelle, entre traitre et récupéré, entre migrant et raciste. Mais ces gens ont oublié un qualificatif : libre » (p107)
L’auteur : né en Syrie 1987, Omar Youssef Souleimane est un poète et journaliste. Son récit Le petit terroriste (2018), a été adapté pour le théâtre. Le dernier Syrien est son premier roman. Il vit en France.
Une chambre en exil, Omar Youssef Souleimane, éd. Flammarion, France, 2022, 224p.
Par TAWFIQ BELFADEL