Le Silence des dieux- de Yahia Belaskri : lâcheté des hommes et révolte des femmes

Après Le livre d’Amray (Zulma 2018), Yahia Belaskri publie son nouveau roman chez le même éditeur, Le Silence des dieux (2021).

Dans un village très loin de la ville, aux portes du désert, les habitants vivent en paix et tranquillité. Ils subsistent grâce à la terre. La poésie berce leur quotidien. Soumises, les femmes sont réduites au ménage et à l’accouchement, humiliées et violentées par les conjoints. « Aucun d’eux n’imagine ce que sera leur avenir ni l’obscurité  qui menace » (p 29)

Un jour, le village est enfermé par les militaires ; nul ne peut y entrer et nul ne peut en sortir. La peur envahit les habitants qui commencent à s’entre-déchirer. Les homicides commencent. La haine se dilate.  Après le calme,  le village sombre dans l’abîme. « Ici est l’histoire des hommes qui m’ont fait naitre. Ils ont abandonné toute mesure et ignoré l’élan du cœur , lui préférant les ténèbres du crime » (p 13)

Révoltées par le machisme des conjoints, les femmes s’unissent et décident de s’enfuir avec les enfants, laissant les maris  seuls face à leurs haine et lâcheté.

Les femmes sauraient-elles aller au bout de leur révolte et défier le patriarcat ? Et si la fermeture du village n’était-elle qu’une illusion ?

D’abord, le roman  offre une fiction à caractère féministe. Le lieu (village) miroite la misogyne et toutes ses formes : mariages arrangés, violence et coups, polygamie, machisme, sexisme, patriarcat, harcèlement et viol…Ensuite, les rôles s’inversent : les hommes, autrefois dieux, sont ridiculisés, devenus des pantins lâches. Les femmes s’arment de courage et renversent l’ordre machiste. Elles fuient pour vivre ailleurs avec leurs enfants. « Il est temps de donner une bonne leçon aux hommes, et à leur tête, ce rustre assassin qui est mon mari » (165).

Cela rappelle le personnage mythique Lysistrata qui défia avec les autres femmes les hommes de la ville pour les forcer à cesser la guerre ; histoire qui inspira le film La Source des femmes.

En plus de la misogynie et la haine, le roman est une dénonciation acerbe de l’hypocrisie qui est souvent couverte du masque de la religion. Par exemple, le saint homme du village  a été démasqué en train de violer une femme. Cela est favorisé notamment par l’insertion du personnage de Ziani, un sage pris pour un fou.  De ses discours jugés diatribes, jaillit la vérité. Ainsi, le roman a un caractère humaniste. « Je ne demande rien, ni vengeance ni justice, je me détourne de votre voie qui mène à la ruine » (p211).

Le roman est ensuite un bel éloge du désert, berceau de la poésie et de la sagesse. La fiction, comme dans les romans de Beyrouk, permet d’explorer le duel ville-désert. « Les hommes du désert savent écouter et adaptent leur vie aux voix qui leur parviennent » (p 188)

Lire aussi : l’entretien avec l’écrivain mauritanien Beyrouk

La poésie est également omniprésente, de la première à la dernière ligne. En plus des divers poèmes insérés au sein du texte, souvent les paragraphes en prose sont imprégnés de poésie. « Si mes parents m’ont prénommé Mansour, le mystère de la poésie m’a offert la possibilité d’etre victorieux » (p220)

L’oralité est en outre présente dans le roman. Ici et là, sont insérés des vers de la poésie malhoun (poésie populaire orale), des traditions, des contes et adages, des us, des mots du dialecte…le roman transcrit l’oralité pour la sauver et l’universaliser  tant qu’elle est le legs des ancêtres.  

Le pays de la fiction n’est pas précisé. Les éléments de la fiction sous-entendent l’Algérie mais ça peut être n’importe quel pays maghrébin ou nord-africain…Le choix du village n’est pas fortuit ; c’est une miniature d’un pays éventuel  (à deviner par le lecteur) où les hommes soumis au pouvoir déversent leurs colère et violence sur les femmes et s’entre-déchirent pour fuir leur lâcheté. Le nom  village illustre bien ce fait : La Source des chèvres !  Ce caractère dystopique du roman  rappelle La Ferme des animaux d’Orwell. Donc, à travers un petit bourg, l’auteur dissèque  tout un pays.  

Ce qui serait un petit point faible du roman est la traduction littérale des versets coraniques. Certes, leur insertion est intéressante et embellit davantage le livre mais la traduction est purement linguistique, superficielle, basée sur le mot-à-mot, sans aucune relation avec le contexte anthropologique et sémantique des versets.  Or, ce point n’altère en rien la grande qualité du roman.

Lire aussi la critique du récit de Souad Labbize: poésie et pouvoir des femmes

Sobre et percutant, sensible et humain, imprégné d’une succulente poésie, Le Silence des dieux est un éloge du féminin, du désert, et de la poésie. Hymne à la liberté et cri contre la haine !

***

Point fort du livre: caractère poétique

Belle citation: « Etre au monde, c’est recevoir l’autre, c’est l’accueillir et lui faire fête puisqu’il est en nous, qu’il est un don. Recevoir et donner, ainsi le miroir se met en place. » (p111)

L’auteur: né en 1952 en Algérie, Yahia Belaskri est écrivain et ancien journaliste. Il est membre du comité de la revue Apulée. Il vit en France.

Le Silence des dieux, Yahia Belaskri, éd. Zulma, France, 2021, 224p.

Par TAWFIQ BELFADEL

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