Extrait gratuit du dernier roman d’Abdelkader Djemaï  : « le figuier »

Avec l’aimable autorisation des éditions Le Pommier, Lecture-Monde vous offre un extrait gratuit du dernier roman de l’écrivain algérien Abdelkader Djemai, « Mokhtar et le figuier » (2022).

Pour lire la critique de ce roman cliquez ici: Mokhtar et le figuier

L’EXTRAIT ________________________________________________

Le figuier

Un matin, comme si elle voulait lui présenter un membre de la famille  qui lui était cher et que Mokhtar ne connaissait pas, Aichouche le prit par la main et l’emmena au pied du figuier qu’elle aimait, lui dit-elle, pour sa bonté et sa générosité.

Avec les yeux encore vierges et étonnés de la petite enfance, Mokhtar vit d’abord le tronc, tellement plus haut et plus vieux que lui. Il était aussi plus robuste que son grand-père et n’avait pas besoin de s’appuyer sur un bâton en bois d’olivier.  Malgré son âge, ses cicatrices et les traces de sève qui ressemblaient à du sang blanc coagulé, il était solidement planté sur le sol en terre battue ou cheminaient, au milieu des feuilles mortes  et des brindilles d’herbes, des fourmis.

En regardant les fourmis, Mokhtar imagina que les racines descendues du tronc se mettaient elles aussi à marcher, à courir sous la maison avant de se disperser et de se perdre dans le grand ventre de la terre qu’il croyait brulant comme le four en boue séchée d’Aichouche.

Puis il leva la tête vers l’intérieur de l’arbre rempli d’ombres, de légers frémissements et de murmures  indéfinissables. Il ressemblait à une sorte de puits végétal plein de fraicheur ou la lumière, comme une pluie fine et douce, tombait à travers les rameaux pareils à de longs bras aux coudes noueux et à la peau légèrement grise.  Dans les ombres qui se croisaient, il n’arrivait pas à distinguer le bout de leurs doigts  qui devaient sans doute toucher le ciel, ce ciel souvent d’un bleu limpide.

Avec sa masse vert sombre dont il découvrirait peu à peu l’odeur boisée, le figuier lui paraissait peuplé de mystères  et de secrets. De dangers aussi, lorsqu’il aperçut une grosse araignée noire entre deux feuilles luisantes qui avaient la forme de mains bien découpées.

Velue et sournoise, elle faisait mine de sommeiller  sur sa toile poussiéreuse, prête_ il en était sur_ à sauter sans pitiés sur son visage.

Effrayé par son apparition, il devait attendre longtemps pour oser grimper dans l’arbre ou il risquait de perdre tous ses repères. Derrière son apparente sérénité, quels autres dangers, quels autres pièges pouvait-il dissimuler ?

Pour le rassurer, Aichouche détacha délicatement à l’aisselle des feuilles une figue violette qu’elle lui offrit en souriant. Mokhtar eut alors la délicieuse sensation de retrouver dans sa bouche la saveur de sa chair rose et sucrée, qu’il connaissait pour l’avoir plusieurs fois goûtée.

Ce matin-là,  avec sa grand-mère à ses cotés, pour la première fois, il eut malgré la présence de l’araignée, l’impression de voir vraiment le figuier, de prendre conscience de sa réalité palpable et charnelle.

***  

Par ABDELKADER DJEMAI

L’auteur : né en 1948 à Oran, Abdelkader Djemai est un écrivain algérien de langue française. Il vit en France.

Il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement cet extrait sur un autre média numérique ou en papier. Pour cela, il faut contacter l’éditeur

Mokhtar et le figuier Abdelkader Djemai, éd Le Pommier, France, 2022, pp15-18.

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