Après des livres d’Histoire et un essai sur Camus, l’écrivaine américaine Alice Kaplan se lance pleinement dans la fiction en publiant son premier roman, Maison Atlas (Le Bruit du monde 2022).
Grâce aux études dans l’université de Bordeaux, Daniel Atlas, un Juif d’origines algériennes, rencontre Emily, une Américaine juive. Ils deviennent très tôt amants. Contrairement à elle, lui est obsédé par une quête des racines ; la famille Atlas est ancrée en Algérie, à travers des générations, avant même la conquête française. Une célèbre famille qui a choisi malgré tout de rester dans la terre des ancêtres.
Les années 1990, la guerre civile éclate en Algérie. Daniel prend le risque et descend dans la terre de ses ancêtres pour une quête-pèlerinage au pays des racines.« Il aimait dire alors qu’il était le seul Atlas encore en Algérie … » (p208) C’est alors que son père est assassiné. Aidé par un commissaire, le jeune homme décide de s’infiltrer dans le mystère de cette guerre qui lui a ravi son père. Emily n’a aucune nouvelle de son amant. Elle décide alors de voyager en Algérie à la recherche de la vérité. En vain.
Des années passent. Emily a une fille née de son amour avec Daniel : Becca. Elle fait des études aux USA et s’intéresse à la généalogie. Très vite elle s’acharne à chercher son père-fantôme pour constituer l’arbre des Atlas, et exister. Alors elle décide d’aller en Algérie à la recherche des racines !
Daniel est-il encore en vie ? Becca réalisera-t-elle le but de sa quête ? La quête des racines est un legs intergénérationnel?
Le livre est une fiction traversée par des fragments historiques réels comme la colonisation, la guerre civile…Il s’agit d’une quête intergénérationnelle de racines au sein d’une famille juive. Une quête qui traverse les temps et les espaces (Algérie, France, USA). Daniel était soucieux de connaître son arbre généalogique ; ensuite sa fille poursuit la même quête…Cependant, faire une quête de racines ne sert pas uniquement à constituer l’arbre généalogique mais il s’agit surtout une quête existentielle : exister, être soi-même, jouir d’une identité sans faille.
Le roman est également un hommage aux Juifs qui étaient effacés et marginalisés à travers des générations à cause de leur foi. Autrement dit l’auteure, à travers ce roman, fustige cet effacement plein d’hypocrisie et d’ingratitude: les Juifs ont connu la terre d’Algérie avant la conquête française ; ils ont aimé ce pays et l’ont défendu corps et âme. « On le renvoyait de l’école parce qu’il était juif » (p 108)
L’Histoire est omniprésente bien que le livre ne soit pas un roman historique. Ici, l’Histoire sert de fond, de socle, pour mieux installer les éléments de la fiction (personnages, lieux, actions…). Ainsi, les histoires des Hommes croisent la grande Histoire pour mieux peindre cette quête des racines. Le roman existe dans cet entre-deux à la fois réel et fictionnel.
Le roman est en outre un éloge de la cohabitation des religions et cultures. Un hymne à l’amitié et à la paix même en temps de guerre. La famille Atlas était aimée de tous ; Juifs, chrétiens et musulmans. La mère de Daniel est chrétienne, son père est juif. Séparés par les religions, les personnages sont unis par l’amitié et l’amour du même pays.« Nous avons vécu ici tout au long de l’histoire de ce pays, des siècles avant la conquête française. Nous avons vécu avec nos frères arabes» (p56)
La structure du roman est agréable et captivante. Le tout est divisé en fragments indépendants qui se croisent et se complètent : Becca, Daniel, Emily…Cette structure favorise la quête intergénérationnelle des racines : chaque génération raconte son récit. Le roman devient un arbre généalogique. Elle donne surtout de la valeur au livre et captive le lecteur qui essaie de reconstruire les fragments dans sa tête.
Le roman est le fruit d’une grande documentation et de séjours fréquents en Algérie. L’auteure en parle dans la partie « remerciements ». Aller en Algérie lui a permis de s’imprégner davantage de la réalité des choses pour donner au roman une profondeur et un fond réel. C’est le travail des grands romanciers qui croisent imagination et exploration.
Certains éléments sont puisés dans la biographie de l’auteure : la ville américaine de sa naissance Minneapolis, son monde universitaire, ses études à Bordeaux, ses séjours en Algérie, son travail sur Camus…Ainsi, Alice Kaplan se dit à travers ses personnages, poursuit sa quête à travers la quête identitaire des autres. Bref, elle explore la fine frontière entre Réel et Fiction.
Pour des lectures croisées ou des recherches universitaires approfondies, il est utile de lire ces titres : Le Tailleur de Relizane d’Olivia ElKaim et Les Habitués du Temps suspendu de Rebecca Benhamou qui sont aussi des quêtes de racines dans des familles juives d’Algérie.
Sobre et dense, imprégné d’humanité et d’Histoire, Maison Atlas est une belle quête transgénérationnelle des racines. C’est un aussi un bel hommage aux familles juives effacées de l’existence en nom de la religion.
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Point fort du livre : la structure
Belle citation: « Nous avons vécu ici tout au long de l’histoire de ce pays, des siècles avant la conquête française. Nous avons vécu avec nos frères arabes» (p56)
L’auteure: née aux USA en 1954, Alice Kaplan est universitaire, écrivaine et historienne. Maison Atlas est son premier roman vivement salué par la critique.
Maison Atlas, Alice Kaplan, éd. Le Bruit du monde, France, 2022, 272p
Par TAWFIQ BELFADEL