Après « Une histoire insolente du rouge à lèvres » (2021) , Rebecca Benhamou publie son nouveau roman, « Les Habitués du Temps suspendu » (Fayard 2022)
David Zimra est un horloger juif qui vivait de l’autre côté de la Méditerranée (un pays du Maghreb) depuis tant d’années.
Après la perte de son épouse, il quitte la campagne pour la Radieuse avec son fils Salomon et Nahel, un « Arabe » orphelin qui devient son fils adoptif.
Les années passent ; Salomon est mobilisé avec des amis au service de la France pendant la Deuxième Guerre, comme a fait David la Première. Nahel quant à lui devient officier de police.
La Guerre finie, la Radieuse réunit les deux frères et les amis. Mais, les évènements historiques bouleversent tout et poussent Salomon à quitter ce pays pour vivre en France ; Nahel choisit le camp indépendantiste et y reste.
Des décennies passent. Salomon est alors un vieil horloger qui fréquente en 2014 le café du Temps suspendu. Ici, une jeune artiste, Lila, joue du violoncelle et l’emmène par sa musique vers le pays des souvenirs. Elle aussi a des racines de l’autre côté de la Méditerranée. « Au Temps suspendu, il arpente les ruelles dénudées du passé… » (p32)
Défaire et reconstruire les souvenirs aidera-t-il Salomon à habiter le présent ? Et si Lila lui proposait un voyage vers la Radieuse, un retour aux racines? Pourquoi l’auteure ne cite pas le nom de ce pays du Sud?
Le livre est une fiction nourrie d’autobiographie. Autrement dit, c’est une autobiographie romancée comme le précise l’auteure à la fin du livre dans une note écrite en aout 2021. Mêlant fiction et réel, Rebecca a reconstruit l’histoire et la mémoire familiales à travers les générations, en passant du grand-père au père…. « Ce livre est comme une dette… »(p355). Et à travers cette généalogie fictionnelle et ce voyage de souvenirs, elle mène sa propre quête identitaire, se cherche, se construit, dit son Moi.
Le roman est aussi un hommage aux Juifs qui sont humiliés, marginalisés, menacés, persécutés à cause de leur origine religieuse. Et qui sont, en toute circonstance, rejetés par les deux camps : la France et le pays colonisé.
Le livre rend également hommage aux gens qui vivent entre les deux rives de la Méditerranée. La famille Zimra a quitté la Radieuse avec déchirement. Lila est née d’un père immigré venant de cette même ville. Ainsi, elle et Salomon n’ont que les souvenirs pour bâtir un pont entre les rives et retrouver les racines.
Ainsi, ce qui permet bien ce va-et-vient entre les deux rives, c’est le choix agréable de quelques éléments comme le nom du café Temps suspendu, la montre à gousset héritée d’une génération à l’autre, les notes de Bach…« Lila l’embarque, en quelques notes, dans ce même voyage de la mémoire et du cœur, celui qui contient tous les autres » (265)
L’Histoire est omniprésente. Çà et là, le livre offre des pans historiques réels comme les deux Guerres. Mais le livre n’est pas un roman historique : l’Histoire constitue un arrière-plan pour mieux peindre la quête des racines.
Le livre est une belle leçon de fraternité et de cohabitation des différences surtout religieuses. Salomon est juif, son ami Milo est chrétien, Nahel est « arabe » ; ce dernier a grandi dans la famille juive des Zimra. Les trois s’aiment davantage et ne se séparent pas.
La structure du roman est intéressante et agréable. Ce sont des fragments qui annulent les frontières du temps et de la géographie ; de David, le narrateur passe à son fils Salomon ; de la Radieuse, il passe à la France…Ce caractère qui brouille la narration, attire en revanche le lecteur et donne davantage de valeur au roman. En lisant, on reconstruit les fragments, on remplit les blancs, on tisse le temps.
L’écriture, imprégnée de poésie, est superbe. Ici et là, des phrases captivent l’attention par des métaphores attirantes comme s’il s’agissait d’un poème. Ce caractère poétique attire le lecteur et donne de l’importance au récit aussi. « La musique, tel un long ruban, se déroulait vers la voûte » (p110)
Pour une lecture approfondie et des parallèles littéraires, il est utile de lire Le Tailleur de Relizane d’Olivia Elkaim et Maison Atlas d’Alice Kaplan, qui sont aussi des quêtes de racines à travers des familles juives.
Dense et humain, tissé par une belle structure et une écriture poétique, Les habitués du Temps suspendu est un pont entre les deux rives de la Méditerrané, une quête des racines, et une dette de romancière envers sa famille.
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Point fort du livre: belle écriture poétique
Belle citation: « Car la vie, c’est comme l’horlogerie. Tout commence par un mouvement. Et un mouvement, c’est une danse » (p63).
L’auteure: née en 1986 en France, Rebecca Benhamou est journaliste et romancière. Elle vit en France
Rebecca Benhamou, Les Habitués du Temps suspendu, éd. Fayard, France, 2022, p360.
Par TAWFIQ BELFADEL