Il s’agit du premier roman de la jeune écrivaine tunisienne Malek Lakhal.
C’est l’histoire d’Ahmed, un jeune Tunisien issu d’une famille aisée. Après des études à Paris, il rentre en Tunisie. Il vit en clandestinité son amour pour les hommes ; son seul soutien est Amal qui a décidé de rester Paris. Il vit isolé dans son monde pour esquiver sa famille qui veut décider à sa place, lui imposer un chemin comme tous les autres au nom des normes et traditions, en dépit de sa liberté. « Aimer les hommes, c’était jouer avec le feu » (p 36)
Cependant, découvrir qu’il est atteint d’une maladie qui touche uniquement les homosexuels, l’oblige au départ vers Paris. Alors son secret longtemps caché tombera-t-il dans l’eau ? Restera-t-il définitivement à Paris ou choisira-t-il encore une fois le retour ?
Le roman rend d’abord hommage aux homosexuels qui taisent leur désir et leur liberté ; qui vivent leur vie en clandestinité à cause des autres. Ils sont jugés comme « Anormaux » car ils transgressent les normes et la culture grégaire. Ces autres sont à la fois la famille (premier rival) et les gens autour ; la liberté de vivre devient un interdit, une honte. Ainsi, Ahmed, a deux voies possibles : le silence et l’exil. Il a essayé les deux. « Et avec les insultes, il y a toujours, qu’on veuille d’elle ou non, la honte. » (p30)
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Le livre fustige aussi les normes et les traditions, ces pesanteurs qui obligent les gens à se taire pour vivre. Qui dit tradition dit mère. « Ma propre mère ignore la mort de son fils comme elle aura ignoré sa vie. » (p216). Il s’agit d’une forme d’hypocrisie sociale collective que les gens doivent suivre au nom de cette expression « faire comme les autres ». Par exemple, Ahmed vit isolé et choisit le silence et l’exil ; même chose pour son amie Amal et sa tante. Ainsi, le silence devient l’ultime arme de résistance face à la soumission et à l’écrasement. « On n’est jamais que soi à Tunis. On reste toujours emmailloté dans des relations, des liens et des pesanteurs. » (p200)
Le texte explore en outre une thématique très intéressante et d’actualité : l’échec de l’immigration et le retour au pays natal après une expérience d’exil. Ainsi, le roman rend hommage à ceux qui vivent entre deux rivés, écartelés entre le mal d’exil et le mal de la terre natale.
La structure du roman est agréable. C’est une structure fragmentaire ; la narration est polyphonique, assurée par divers personnages à tour de rôles (la mère, le fils, la tante, l’amie…). Cette construction donne davantage de valeur au roman et captive le lecteur. C’est aussi une technique pour rompre avec la structure classique-linéaire du roman maghrébin.
Ce qui constitue un certain point faible du roman est le coté esthétique qui mange de peaufinage. Les phrases ont un ton sec comme s’il s’agissait d’un article de presse. Les métaphores et autres figures sont rares. Car, en littérature contemporaine, le côté esthétique est plus important que le scénario (la littérarité). Cependant, ce point n’altère en rien la bonne qualité du roman.
Sensible et humain, embelli par une belle structure, Valse des silences est un hommage à ceux qui vivent à contre-courant dans des espaces où règnent les normes et la tradition. Un bel éloge de l’humanité!
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Point fort du livre: caractère humaniste.
Belle citation: « Tunis n’avait jamais été qu’une salle d’attente. Un avion qui s’élève dans le ciel y était plus prometteur que tout ce que la terre pouvait porter d’avenirs ». (p 109)
L’auteure: Malek Lakhal est chercheure, politiste de formation. Elle est la co-fondatrice du magazine littéraire Asameena. Valse des silences est son premier roman.
Valse des silences, Malek Lakhal, éd. JC.Lattès, France, 2022, 280p.
Par TAWFIQ BELFADEL