Avec l’aimable autorisation des éditions Castor Astral, le magazine Lecture-Monde vous offre un extrait gratuit du dernier nouveau livre d’Abdellatif Laâbi, « La fuite vers Samarkand » (Castor Astral 2022).
Pour lire la critique de ce livre cliquez ici: la fuite vers Samarkand

L’EXTRAIT …
Pus près de nous, Mohammed Dib, un autre prodige littéraire que Monsieur Barde (narrateur du récit) a eu la chance de connaître et avec qui il a noué une belle amitié.
Tout rapprochait les hommes : leurs lieux de naissance, l’un à Tlemcen, l’autre à Fès, deux vieilles cités qui ont eu beaucoup de choses à se raconter au cours de leur histoire. Leur vécu commun, quoique à des âges différents, de la période coloniale. Le qu’ils aient usé tous les deux pour écrire une langue autre que leur langue natale, qu’ils furent obligés, à un moment charnière de leur vie, de quitter leur pays pour vivre ailleurs, d’abord provisoirement, ensuite pour toujours. Autre élément qui a peut-être son importance, tous les deux ont contracté un mariage qu’on qualifiait de mixte à l’époque où cela se produit.
La comparaison s’arrête là, car nous sommes en présence de deux tempéraments littéraires fortement différenciés, ne serait-ce que par la prépondérance dans leur œuvre du roman ou de la poésie. Chez Dib, à l’évidence du roman, même s’il a su conserver un lien fort et pérenne avec la poésie. Chez monsieur barde, c’est l’inverse : la poésie d’abord ! ensuite le récit, à sa façon, cultivant l’imprévu dans le sillon de la poésie, toujours.
Le temps qu’a duré leur amitié, et jusqu’au départ de Dib, ils s’envoyaient leurs nouvelles parutions et s’écrivaient assidûment, de courts messages où la pudeur était de mise, mais l’essentiel dit.
Monsieur barde constate avec amertume que Dib n’a pas eu la notoriété d’un Zweig et n’a pas obtenu à l’instar de son « compatriote » Albert Camus le Prix Nobel qu’il aurait pourtant largement mérité, autant que l’auteur de l’Etranger, sinon davantage. Il estime que son œuvre, de par son ampleur, la diversité de ses modes d’expression et de ses sources d’inspiration, la prégnance de ses valeurs humanistes, est un des plus grands monuments littéraires du XXe siècle. Et pour couronner le tout, il y a cet enchantement de et par la langue qu’il a su créer mieux que quiconque.
Chez lui, pour exister, la phrase doit passer par la main et l’esprit d’un architecte doublé d’un musicien, travaillant sous l’œil averti d’un poète souverain. Elle doit se soumettre aux contrôles d’un grammairien chevronné mais pas obtus, capable d’encourager des audaces en matière de syntaxe, pourvu qu’elles soient élégantes et raffinées.
Par ailleurs, Dib était la discrétion faite homme. Le retrait était pour lui une ascèse où il se retrouvait dans les mêmes dispositions que ses chers soufis. Il n’éprouvait pas le besoin d’élever la voix en agora. Il laissait ses œuvres parler pour lui, dénoncer les turpitudes avec véhémence déconcertante.
(…)
Zweig. Dib… monsieur barde est tenté de continuer sur sa lancée en saluant d’autres auteurs contemporains avec lesquels les liens de fidélité ne se sont jamais démentis. l’iranien Sadeq Hedayat par exemple, dont il conseille vivement de relire aujourd’hui « la Caravane de l’islam », un texte prophétique écrit en 1930, d’une radicalité absolue.
Mais bon, ce récit ne va pas se transformer en catalogue irraisonné des délectations littéraires de Monsieur Barde !
Il est temps de sortir des livres.
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La fuite vers Samarkand, Abdellatif Laâbi, éd. Castor Astral, France, 2022, extrait pp 76-78.
Merci aux éditions Castor Astral pour l’autorisation de reproduction.
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L’auteur : né en 1942 à Fès (Maroc), Abdellatif Laâbi est un poète, écrivain, et traducteur. En 1966, il fonde la revue Souffles. Sa poésie a été couronnée par plusieurs prix dont Le Goncourt. Il vit en France. Pour plus d’informations sur l’auteur, voici son site officiel: Abdellatif Laâbi.