Rien ne t’appartient- de Natacha Appanah : résister à l’effacement

Après  Le ciel par-dessus le toit, Natacha Appanah publie son nouveau roman,  Rien ne t’appartient (Gallimard 2021)

Vijaya est une fille d’une famille riche et athée. Sa mère a des   pouvoirs magiques pour lesquels la visitent tant de personnes à la recherche du bonheur.  Journaliste à la radio, son père est un homme engagé, opposant au pouvoir. « Je n’ai pas de religion, …je n’ai pas de langue, toutes les langues sont à moi, toutes les religions sont à moi » dit-il(p81)

Un jour, l’uniforme tue ses parents. Sauvée par le jardinier, elle est accueillie par une autre famille. Là, elle découvre le garçon, le jeune dont elle s’amourache sans connaître son nom.  La famille adoptive la voit comme une fille gâchée, un chien méchant ;  elle est ainsi emmenée au refuge où toutes les filles sont exploitées. « J’ai l’impression que des  parties entières de mes journées  se déroulent sans moi, je crois que je perds la tête » (p30).

Le tsunami envahit la ville. Rescapée, Vijaya fait la connaissance d’Emmanuel, médecin veuf, pour qui elle nourrit des sentiments.

Et si devenait-elle l’épouse d’Emmanuel ? Et inventait-elle une autre vie, adoptait-elle le nom d’une amie, pour survivre et dépasser l’effacement ?

Le roman est une fiction racontée par la narratrice-personnage.  C’est une luttecontre l’effacement. Après la colonisation, le pays vit une autre guerre menée par ses propres enfants : c’est la guerre de l’effacement.  Vijaya perd ses parents, ensuite son humanité. Chez la femme adoptive, elle est le chien méchant, la fille gâchée. Au refuge, comme les autres filles, elle est esclave des tâches dures, appelées par le nom des mois de l’année. (cela rappelle la première histoire de l’effacement : Robinson appelant Vendredi par un jour de la semaine).

Ainsi, Vijaya la fille épanouie, la passionnée de la danse, l’élève de son père-intellectuel…devient un rien, effacée de l’existence. «  En vérité, plus rien ne m’appartient, ni ici, ni ailleurs, ni jamais. Mon nom, mon histoire, ma mémoire s’effacent » (p112). Le titre du roman illustre bien cet effacement. La narratrice raconte pour que tout lui ré-appartienne.

Derrière ce combat raconté au JE, c’est le combat collectif de tous ces gens, surtout les femmes, effacés dans leur propre pays. Ce qui appuie ce point est la non-désignation des lieux de la fiction par noms propres; seul subsiste un décor de l’océan indien. Un hommage universel aux opprimés de l’existence.

La structure du roman est captivante. Il s’agit de deux parties qui désignent  le même personnage. Ce dédoublement schizophrénique donne une grande beauté au livre et captive l’attention. Aussi le réalisme se mêle aux songes ; ce qui embellit davantage la fiction.

Le roman a également un caractère engagé.  En plus de la résistance à l’effacement, la narratrice fustige la dictature et ses images. Les parents de Vijaya ont été exécutés à cause de leurs opinions et différences, sachant notamment  qu’ils sont de culture indienne. « Là-bas je ne parlerai qu’une langue- celle que les dirigeants veulent imposer comme étant la langue officielle, celle dont ils disent qu’elle est la langue supérieure à toutes les langues »  (p61)

Le caractère ethnographique est en outre présent.  Çà et là, la narratrice évoque des éléments de la culture indienne : traditions, rites, emprunts linguistiques, symboles…« Mon sari de danse est noué comme elle me l’a appris…à coté de moi, sont posés des grelots de danse » (p63)

L’écriture est  par ailleurs attirante, vivante,  par sa dynamique qui est favorisée à la fois par les virgules et les onomatopées.  Cela captive le lecteur.

La poésie est omniprésente. Au sein de la prose, des phrases poétiques pleines de métaphore et de profondeur se glissent pour donner au roman davantage de beauté. « Le temps est caoutchouteux  quand on a peur, il ressemble au tableau de Dali » (p77)

L’auteure a inséré des éléments autobiographiques dans cette fiction sans  faire de l’autobiographie : le décor sous-entend l’ile Maurice (pays natal de l’écrivaine) ; présence de la culture indienne (origines des parents), la radio (elle est journaliste et a fait des reportages  pour la radio)…Ainsi, l’auteure se dit à travers son personnage, son monde fictionnel.

Dynamique et vivant, sobre et percutant,  imprégné d’une belle poésie, Rien ne t’appartient est un cri contre l’effacement, toutes les formes de l’effacement.  Un bel hommage universel aux humaines dépourvus de leur humanité!

***

Point fort du livre: écriture poétique

Belle citation: « Le temps est caoutchouteux  quand on a peur, il ressemble au tableau de Dali, il fond, il se déforme, il dégouline et on ne sait si c’est le jour ou la nuit, si ce sont des minutes qui s’écoulent ou des heures entières » (p77)

L’auteure: née en 1973 à l’ile Maurice, Natacha Appanah est une écrivaine de langue française. Ses œuvres ont été salués par de prestigieux prix dont le Goncourt. Elle vit en France.

Rien ne t’appartient, Natacha Appanah, éd. Gallimard, France, 2021, 160 p.

Par TAWFIQ BELFADEL

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