Deux nouveaux recueils poétiques d’Abdellatif Laâbi : léguer la passion de l’humanité à la jeunesse

Après son recueil poétique Presque riens, Abdellatif Laâbi publie deux recueils de poésie-jeunesse accompagnés d’illustrations : Ouvrons l’œil du cœur, et Ce que poète désir.

Pour lire la critique du précédent livre, cliquez ici: Presque riens

1-Ouvrons l’œil du cœur !

Il s’agit de brefs poèmes qui  constituent un éloge de l’humanité à travers l’amour, la paix, le rêve, l’espoir. Ils invitent le jeune lecteur à voir avec le cœur. Cela rappelle le Petit Prince qui disait « Les yeux sont aveugles. Il faut chercher avec le cœur ». Ils sont aussi réécrits par le poète lui-même en langue arabe, et illustrés par les peintures de  Laurent Corvaisier. « Celui qui sème les étoiles récolte la paix » (p28).

2-Ce que poète désire

Les poèmes réunis dans cette anthologie ont été sélectionnés par le poète à partir de ses recueils poétiques publiés entre 1981 et 2020. Ils sont classés par catégories, ornés par les illustrations en couleur de Laurent Corvaisier.

La  première partie est centrée sur l’incarcération du poète. À cause de son combat, il a été emprisonné au Maroc de 1972 à 1980. Certains  poèmes de cette partie ressemblent à des paroles directes adressées à sa famille  (son épouse Jocelyne, et ses enfants Hind et Yacine).  Bien qu’ils évoquent la prison, les poèmes sont  miroitent l’espoir, l’amour du soleil,  et la sérénité du poète ; pas de place au pessimisme. « On me ligota/ bâillonna/ banda les yeux/on interdit mes poèmes/ mon nom/ on m’exila dans un ilot/ de béton et de rouille. » (p6)

La deuxième partie est intitulée « accrochées aux étoiles ». Là, le poète fait l’éloge du rêve sans borne, de l’espoir et de la beauté. Autrement dit, il célèbre le désir de la vie. « Les balançoires/ accrochées aux étoiles/sont les plus solides » (p17).

La partie suivante est une ode à l’amour. Il chante l’amour platonique qui n’a pas d’âge ou de limites, celui qui est une transcendance dans le partage. S’il fait l’éloge de l ‘amour  dans un sens général et universel, il célèbre le sien  pour Jocelyne comme le montre bien ce petit poème : « Bientôt un demi-siècle/et pour me paraphraser/je dirai que ne sommes /à peine/ nés à l’amour » (p29.)

Le poète offre ensuite des poèmes sur les petites choses. Pour lui, elles sont les plus grandes de la vie. A travers ces petites choses qui semblent des « riens », le poète enseigne la sagesse à tel point que certains vers ressemblent à des maximes ou des versets. « Si tu veux vraiment écouter l’autre/ chasse ta propre pensée » (p44). Autre exemple : « Dis-moi quelles sont les questions/ qui te brulent/ et je te dirai qui tu es » (p47).

La partie qui suit est intitulée « murmures ». L’ensemble des poèmes est une réflexion sur la vie. Il s’agit d’une vie simple et utopique ou le rêve est une réalité. Le poète pose des questions simples mais qui invitent à réfléchir sur la vie et l’existence. Les poèmes sont ainsi imprégnés d’images soufies. Le poète recourt à la nature pour s’exprimer sur le rapport de l’humain à la vie. « Un jour/ ne serait-ce qu’un jour/t’aurait suffi/en guise d’éternité » (p 61).

Les poèmes suivants, regroupés sous le titre du Cri, expriment la révolte du poète contre  tout ce qui salit l’humanité : la violence, la haine, la guerre de l’homme contre l’homme, l’amour  de l’argent,  la disparition des valeurs nobles… Certains poèmes sont des hommages sincères à des gens tristement disparus  tels l’enfant Aylan Kurdi, le poète Tahar Djaout. En plus de s’insurger et de dénoncer, le poète cultive dans ces poèmes l’espoir, la paix, l’humilité, et toutes les nobles valeurs qui forgent l’humanité.  « Mère/ fais que ma peau/ soit d’une couleur neutre/les tueurs sont à l’affut » ( p72) dit-il en hommage à un jeune marocain tué à Paris.

« Sourires » est la partie qui suit. Les poèmes de cette catégorie sont des questions et des méditations sur  des choses de la vie  et sur  l’avenir de l’humanité. Quant à la dernière partie, elle est un éloge de l’espoir et de la paix dans ce monde qui a perdu son humanité. « Paix/ tu me manques/ tu nous manques/ tu manques à cette humanité perdue » (p106).

Ainsi, l’ensemble des poèmes, qu’ils soient intimes ou extérieurs au Moi du poète, a un caractère humaniste. Le poète s’insurge contre toutes les formes de haine et du mal et fait l’éloge de tout ce qui pétrit  l’humanité tels que  l’espoir, l’amour, la paix…Même si sa poésie est souvent intime, Laâbi écrit pour l’Autre : s’il parle souvent de lui-même, c’est pour dire le rapport de l’Homme au monde. Le JE n’est qu’un prétexte. Autrement dit, sa poésie est humanitaire et universelle. « J’atteste qu’il n’y d’Etre humain/ que celui dont le cœur tremble d’amour / pour tous ses frères en humanité » (Ce que poète désire, p84.)

Dans ces poèmes, la nature est omniprésente. Elle revêt une symbolique qui permet de dire l’humanité. Par exemple, le soleil est un espoir ; les oiseaux sont liberté…En plus, sa poésie est largement inspirée par le soufisme, ce mouvement spirituel qui permet d’explorer les profondeurs de l’âme, d’enseigner le Beau et l’humanité…

Le poète fait aussi l’éloge de l’écriture. C’est un remède contre la barbarie humaine et les saletés du monde. C’est aussi une arme pour s’insurger et semer la paix et l’amour. « La poésie m’a appris / à me faire tout petit/ devant l’immensité / de ce que souffrent mes semblables/ bénie soit-elle !» (Ce que poète désire, p89).

Pourquoi de la poésie pour jeunesse ? C’est un genre très rare contrairement aux mangas et romans-jeunesse. Laâbi choisit ce genre renforcé par la peinture pour léguer l’amour de l’humanité aux enfants, pour faire d’eux des adultes pleins de beauté, d’amour, et de paix.  Sa démarche a ainsi un caractère didactique : écrire pour enseigner et transmettre.

Les poèmes sont d’un lexique simple et miroitent de leur simplicité des sens profonds. La langue est donc parfaitement adaptée à l’âge-cible de ces recueils. Les questions sont très présentes : le poète s’inquiète du présent et de l’avenir de l’humanité. Mais à la place du pessimisme, il y a la paix et l’espoir. La poésie de Laâbi est pétrie de sagesse tout comme celle des maitres soufis.

Les peintures de  Laurent Corvaisier sont très attirantes de par les couleurs criardes, les formes  et les symboles. Elles permettent d’illustrer les grands thèmes de la poésie de Laâbi et donnent à ces recueils  plus de beauté et de profondeur.

Simples et profonds, renforcés par de belles illustrations, ces recueils poétiques  lèguent la passion de l’humanité à la jeunesse. Bien que destinée aux jeunes, cette poésie est aussi une leçon de sagesse pour les adultes. Une belle poésie qui soigné l’humanité malade!

Lire aussi: trois poèmes gratuits de son précédent recueil

***

Point fort du livre : poésie humaniste

Belle citation : « J’atteste qu’il n’y d’Etre humain/ que celui combat sans relâche la Haine/ en lui et autour de lui. Celui qui dès qu’il ouvre les yeux au matin/se pose la question : que vais-je faire aujourd’hui pour ne pas perdre/ ma qualité et ma fierté/ d’être homme ? » (p84)

L’auteur : né en 1942 à Fès (Maroc), Abdellatif Laâbi est un poète, écrivain, et traducteur. En 1966, il fonde la revue Souffles. Sa poésie a été couronnée par plusieurs prix dont Le Goncourt. Il vit en France. Pour plus d’informations sur l’auteur, voici son site officiel: Abdellatif Laâbi.

1-Abdellatif Laâbi, Ouvrons l’œil du cœur, éd. Rue du monde, France, 2021, 29 p.

2-Abdellatif Laâbi, Ce que poète désire, éd. Rue du monde, France, 2021, 112p

Par TAWFIQ BELFADEL

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