Les lumières d’Oujda – de Marc Oho Alexandre Bambe : rendre hommage à l’humanité par la poésie

Après  Fragments  (Bernard Chauveau 2019), Marc Oho Alexandre Bambe publie son nouveau livre, un roman intitulé Les lumières d’Oujda (Calmann Lévy 2020).

Un Camerounais est expulsé de l’Italie parce qu’il n’a pas les papiers. De retour au village natal à Douala, il vit auprès de  sa grand-mère, son unique soutien familial après la mort de ses parents.  Une association humanitaire de sensibilisation sur la migration et les réfugiés le sollicite pour ses témoignages. Passionné de poésie, il accompagne dans ses ateliers  les  candidats au départ par  l’écriture. Sa démarche fait un grand succès. « Mon idée est d’instaurer un silence en eux, autour d’eux, pendant chaque séance de poésie-thérapie » (p85)

Commencent alors les colloques internationaux : Oujda (Maroc), Beyrouth, Paris, Lille, etc.  C’est à Oujda qu’il découvre Imane, une militante pour les droits de réfugiés : les deux s’amourachent l’un de l’autre assez vite.

Passant ses jours d’un colloque à l’autre, d’un pays à l’autre,  bercé par l’amour d’Imane, le jeune Camerounais mène sa quête de l’humanité.  Il fait partie de ces bâtisseurs de ponts. Son récit croise ceux des autres personnages en quête de lumière et d’humanité, à la fois militants ou réfugiés: les rappeurs Yaguine et Fondé,  Leila la sœur d’Imane, Ibra de Conakry, père Antoine qui fait d’un coin de l’église un abri pour réfugiés à Oujda …« Je peux le dire, tous les chemins. Tous les chemins mènent à l’Homme » (p37)

Soudain, la violence contre les réfugiés au Maroc  s’amplifie ; des Africains sont déportés. L’église du père Antoine  risque de brûler…Alors qu’ils sont à Paris pour un court séjour, Imane décide de ne plus rentrer  au Maroc.

Le jeune Camerounais suivra-t-il son amour ou rentrera-t-il à Douala ? Les bâtisseurs de ponts lâcheront leur combat ou le mèneront-ils jusqu’au bout ?

Le roman n’est pas un livre sur les migrants ou réfugiés. C’est une fiction qui rend hommage à l’humanité. D’abord, l’humanité de ces gens qui quittent tout pour un ailleurs meilleur. Dans la vie, ils sont réduits à des statistiques et des pronoms Ils-Elles. Ils sont maltraités, humiliés, effacés de l’existence. Le roman fustige tous ces crimes que subissent les migrants et réfugiés, des humains comme le reste. Il exploite cette lumière en eux. « L’autre qui nous as marchandises, esclavagismes, moqués, humiliés, tabassés, volés, emprisonnés, expulsés. » (p58). Ainsi, le roman n’est pas centré sur le trajet  des migrants et réfugiés, mais sur leurs humanités.

Pour découvrir d’autres livres sur le thème des migrations, cliquez ici: Migration

Ensuite, c’est un hommage à l’humanité des bâtisseurs de ponts qui luttent contre la déshumanisation des migrants et réfugiés. Le narrateur et les autres  font de ce combat une obsession. Par exemple, le père Antoine prend des risques et constitue un abri au sein de l’église pour les réfugiés. En plus de l’accueil, il les accompagne avec son équipe. « Alors il (père Antoine) a fait installer une salle de culte pour eux, afin qu’ils puissent prier Allah dans la maison du dieu chrétien » (p66).

En outre,  c’est un hommage à l’humanité des femmes, celles d’Afrique et d’ailleurs.  Elles sont le centre de ce roman. Le narrateur est soutenu par sa grand-mère Sita. Imane et Leila sont des femmes   courageuses. Ainsi, le narrateur fustige la misogynie et le sexisme ; il condamne le viol d’une réfugiée.  Bref, el roman a un caractère féministe. « Toutes les femmes de ma famille. Phares dans la nuit » (p91)

Dire humanité c’est dire la paix et la tolérance. La diversité est une richesse dans le roman. Les personnages cohabitent avec amour, amitié, et paix malgré les différences. Le meilleur exemple est l’amour platonique du Camerounais et Imane qui transcenda toutes les différences.

Le roman est engagé. Il dénonce avec subversion tout ce qui déshumanise les migrants et réfugiés, tout ce qui viole l’humanité en général : la corruption, la dictature, la xénophobie et le complexe   des frontières, la misogynie…« Nos présidents à vie jusqu’à la mort son des ogres » (p67).

En plus de  son caractère humaniste, le roman fait l’éloge de l’écriture en général et de la poésie en particulier. Le narrateur adopte une approche basée sur l’écriture et qui réussit merveilleusement. Il aime écrire aussi et rêve de devenir écrivain. Le roman précise que les mots ont un pouvoir, une résilience. Aussi, la poésie est omniprésente.  La majorité du texte est écrite sous la forme des vers. Les phrases sont souvent des poèmes pleins de profondeurs et de jeux rhétoriques. Yaguine et Fodé écrivent de la poésie qu’ils slament ensuite. Çà et là, des morceaux de slam sont insérés dans le texte. L’auteur est aussi poète et grand passionné de slam. Il exprime donc par le biais de la fiction cette passion. Le caractère poétique du roman donne ainsi de la beauté au texte et subjugue le lecteur. «  …de lendemains qui chantent rappent slament déclament nos quêtes d’aurores et nos urgences de beauté dans la déchirure et le tremblement du monde  » (p150)

Le roman miroite un grand travail d’écriture. L’auteur mêlent les genres et les formes : prose, poésie, slam, rap, reportage, entretiens, lettres, chansons, mots anglais etc. Le roman est dans son ensemble un texte rythmé, slamé telle une chanson de rap. Effacer  la frontière entre les tons et genres donnent une grande importance au roman.  «  …je ne pensais pas que cela m’arriverait encore de fall in love après Rome… » (p228).

Disperser la fiction sur des lieux divers est également un point agréable. Cela déconstruit les  archétypes qui ghettoïsent l’écriture dans la terre natale. Dans ce roman, il n’y a pas de lieu central : tous les lieux gravitent ensemble autour du même univers romanesque (Douala, Conakry, Rome, Paris, Beyrouth, Oujda…). Le roman a un caractère tout-mondien (en référence au concept de Glissant, Tout-Monde).

Ce qui constitue un certain petit point faible est le choix d’un narrateur central. Alors que le roman tente de donner la parole aux humains déshumanisés et les écouter, le narrateur parle à leur place en monopolisant la parole. Cela paraît une contradiction avec l’angle du roman. Autrement dit, l’auteur aurait pu laisser les divers personnages s’exprimer eux-mêmes ; ainsi le roman aurait un caractère polyphonique superbe. Par exemple dans ce court passage, le narrateur parle à la place de Leila au lieu de la laisser parler elle-même: « D’ailleurs, elle avait choisi de vivre sa foi comme un chemin de spiritualité vers elle-même…. »(p135). Cependant, ce point n’altère point la profondeur et la beauté du roman qui est attirant par sa thématique et son écriture.

Avec ce roman, l’auteur exprime sa solidarité avec ces humains de divers pays dépourvus de leur humanité. Il le précise à la fin du livre dans une postface. il dénonce, fustige, pose les bonnes questions, et se dit partie prenante de ces gens, ce Nous collectif. Ce roman est «Un bouquet de mots… pour dire toute ma solidarité à des enfants, des femmes et des hommes comme nous » (p323.)

L’auteur a inséré des pans autobiographiques dans cette fiction sans faire de l’autobiographie : il s’est inspiré largement de son expérience comme observateur et témoin du naufrage humain; sa passion pour la poésie et le slam (il est fondateur du collectif On a slamé sur la lune); Douala la terre natale; l’Europe terre d’accueil…

Percutant par sa poésie, poignant cri humaniste , puissant par ses mots slamés,   Les Lumière d’Oujda  fustige la déshumanisation des êtres qui partent. C’est grand un éloge de la poésie et un sincère hommage universel à l’humanité. Un texte qui se lit et s’écoute comme une chanson douce-amère de rap.

***

Point fort du livre: belle écriture poétique.

Belle citation: « Aucune dictature ne devait avoir  prise sur mon bonheur, possible ici ou là-bas. Aucun système ne devait avoir d’emprise sur ce que je portais. Mon humanité » (p34).

L’auteur: né en 1976 à Douala, Marc Alexandre Oho Bambe est écrivain et poète slameur. Sa poésie est couronnée par le Prix Paul Verlaine de l’Académie française. Pour plus de détails, voici son site: capitaine Alexandre

Les lumières d’Oujda, Marc Alexandre Oho Bambe, éd.Calmann Lévy, France, 2020, 328p.

Par TAWFIQ BELFADEL

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