Ce qui reste des hommes – de Vénus Khoury-Ghata : l’écriture comme thérapie contre la solitude

L’écrivaine Vénus Khoury-Ghata  a publié récemment son tout nouveau roman, Ce qui reste des hommes (Actes Sud 2021).

Quelque part à Paris, Diane est une romancière qui vit seule. Son mari Paul est mort ; les nombreux hommes qu’elle a connus ne sont plus près d’elle. Aucun homme pour son lit. Elle paie alors  un caveau au cimetière et cherche un homme parmi ses anciennes liaisons pour lui tenir compagnie dans sa tombe.

À la quête d’un homme pour sa tombe, elle se trouve sur les traces de son ancien amant le sinologue, découvre d’autres hommes qui la quittent aussi vite…Pour combler les séparations et la solitude, elle écrit.  « Écrire l’insoutenable, non pour le partager mais pour t’en défaire » (p47).

De temps en temps, Diane reçoit les lettres de son amie Hélène. Bien que son mari soit assassiné, celle-ci choisit le bonheur et passe des vacances. Contrairement à Diane, quand un homme s’en va, elle le remplace par un autre.  «  Inséparables mais si dissemblables, Hélène et toi. Elle cherche un homme pour son lit. Tu cherches un mort pour te tenir compagnie dans ta tombe » (p106).

Pourquoi Diane n’arrive-t-elle pas à avoir un homme pour sa vie ? C’est sa faute ou celle des hommes ? L’écriture lui permet-elle de  remédier à la solitude ?

Le roman explore la relation homme-femme à travers deux angles différents (solitude-compagnie). Le premier est celui de  Diane qui pense que les hommes dévorent les femmes, les attirent dans leur piège puis les délaissent rapidement. Malgré ses nombreuses liaisons, Diane n’a pas un homme au lit.  La mort lui a pris celui qui lui appartenait. Fâchée avec la vie, elle pense que seule la tombe peut l’unir à jamais avec un homme.  Elle écrit pour réparer sa vie ; seuls ses personnages fictifs ne la quittent pas. « Des fauves, les hommes. Ils ont besoin de chair fraiche pour carburer » (p 75).

Le deuxième angle est celui d’Hélène  qui choisit la vie malgré tout. Son mari assassiné, elle passe des vacances avec deux mecs soupçonnés avoir tué son conjoint. « Tu écrivais pour ne pas sombrer, contrairement à Hélène qui remplaçait un homme par un autre » (p114).

Ainsi, le roman ne fournit pas de jugement ; il véhicule les deux angles largement  divergents. C’est au lecteur de construire un sens parmi les deux. Ce roman constitue une suite de La femme qui ne savait pas garder les hommes (Mercure de France 2015) de la même romancière: histoire d’une femme qui se réfugie dans l’écriture pour meubler la solitude, l’absence de ses hommes. Les deux livres ont tant de points communs.

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Le roman fait l’éloge de l’écriture. C’est une thérapie : elle répare et sauve. Quand un homme la quitte, Diane la romancière  trouve le désir d’écrire. Dans sa vie, elle a connu aussi un poète et un célèbre romancier Inca. «  Écrire : ta seule thérapie, même quand le monde est sur le point de s’effondrer et qu’il ne restera personne pour raconter ce qui s’est passé » (p46).

En offrant des mécanismes d’écriture, le roman précise aussi qu’il n y a pas de frontière entre fiction et réel : les deux s’entremêlent. Diane fait du réel des romans et voit la vie comme une œuvre littéraire à tel point qu’elle confond vie et fiction.  «  Tu délaissais les hommes en chair et en os pour ceux en papier. Ne fréquentais que les personnages de tes romans, les seuls fiables, d’après toi » (p 46).

L’ailleurs est présent. Installée à Paris, Diane voyage ailleurs à travers ses lectures ou souvenirs. Ainsi, elle évoque la Chine, l’empire Inca,  Sarajevo…« Au retour de sa Longue Marche, Mao a fermé le pays à double tour, l’a cadenassé, a envoyé les intellectuels aux champs et les ouvriers sur les bancs des universités » (p31).

La poésie est également présente. Des phrases sont des poèmes insérés au sein de la prose. Cela embellit le roman et lui donne de la beauté. « Le squelette d’un marronnier ricanait derrière une fenêtre » (p102). En plus du caractère poétique, l’écriture est poignante: l’auteure dit des profondeurs avec des phrases courtes, hachées, mais aiguisées telle une lame. Chaque mot laisse une trace. Une écriture qui secoue.

La structure du roman est agréable. La première page s’ouvre sur un dialogue ; ce qui attire directement le lecteur. Le roman brise la frontière entre les genres et les tons : narrateur extérieur utilisant le TU, épistolaire (lettres d’Hélène), surréalisme (rêves de Diane), poésie…« Tu t’es toujours servie de ta vie et de celle de tes amis pour imaginer tes livres. La goutte d’eau devient océan sous ta plume » (p55). En plus, les parties du roman sont fragmentaires, brouillées par les ellipses (raccourcis temporels) ; c’est au lecteur de construire l’ensemble.

L’auteure rend hommage en outre à des écrivains universels avec des jeux de mots ; insérer des titres de romans dans ses propres phrases sans les démarquer comme « vases communicants » (André Breton), « L’envers et l’endroit » (Camus). « Il se déchausse, te montre l’envers et l’endroit de ses gros pieds » (p68).

L’auteure s’est inspirée de sa propre vie aussi, insérant des éléments autobiographiques dans cette fiction : elle est romancière comme Diane, elle vit à Paris, son époux Jean Ghata est aussi chercheur…

Bref et aiguisé, embelli par une belle structure et une écriture poétique, Ce qui reste des hommes peint la solitude des femmes dans un monde plein d’hommes. Un bel éloge du féminin et de l’écriture.

***

Point fort du livre : la structure.

Belle citation : «  Tes personnages te mènent par le bout du nez, te dictent tous leurs faits et gestes. Tu ne t’appartiens pas. Ecrire et aimer relèvent du même séisme » (p119)

L’auteure : née en 1937 au Liban, Vénus Khoury-Ghata est écrivaine et poète. Elle est l’auteure d’une quarantaine de livres. Sa poésie est couronnée par le  prix de l’Académie française et le celui du  Goncourt.

Ce qui reste des hommes, Vénus Khoury-Ghata, éd. Actes Sud, France, 2021, 128p.

Par TAWFIQ BELFADEL

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