Terminus Babel _ de Mustapha Benfodil : un livre-humain raconte  l’Algérie et l’art de l’Écrire

Après  Body writing/Alger journal intense , Mustapha Benfodil publie en 2023 son nouveau roman chez Macula (France) et Barzakh (Algérie), intitulé Terminus Babel.

Lire la critique du précédent roman: Body writing

Le narrateur (actant principal) de ce roman est un livre qui a les caractéristiques d’un humain : il voit, parle, sent…Son nom est Ktab. Il se trouve parmi une centaine de titres condamnés au pilon dans une bibliothèque à Marseille. Ainsi, sa narration évoque à la fois l’Algérie, le pilon, les livres, la vie de son auteur, sa genèse, et l’art de l’Ecrire…

Un jour, un artiste est accueilli à la bibliothèque pour une performance artistique : il envisage construire une tour de Babel, sorte de statue alvéolaire, pour y mettre les livres condamnés au  pilon. Son but est d’offrir une nouvelle vision de ce concept et de l’art.

L’artiste sauvera-t-il Ktab du pilon ? Quel est l’avenir de Ktab après la fin de l’atelier Babel ? Comment dire les mystères de l’Ecrire à travers la voix d’un livre ?

L’originalité du roman réside, en plus des autres éléments, dans le choix du narrateur : un livre. Ce choix permet d’offrir au lecteur un double roman, deux histoires : celle qu’enferme Ktab, et celle que ce dernier raconte. Ce choix brouille également les signes chez le lecteur, phénomène très présent dans le Nouveau Roman, qui captive le lecteur et l’incite à découvrir en profondeur le texte.« L’Ecrivain m’écrit et moi  j’écris l’Ecrivain. Je suis témoin de tout ce qu’il vit, de tout ce qu’il pense… » (p133).

La thématique centrale du pilon est intéressante, rarement explorée par les romanciers. Le livre est une réflexion sur ce phénomène qui touche à la fois la biodiversité et la littérature. Le livre véhicule cette question implicite : à quoi sert la littérature quand les mots finissent au pilon ? Ainsi, Terminus Babel a un caractère écologique-philosophique.

L’auteur a effectué une résidence artistique en France où il avait pour matériau principal les livres condamnés au pilon. Cette expérience a servi largement dans l’élaboration du roman mais il ne s’agit pas d’un rapport romancé sur l’atelier : le pilon sert de prétexte pour aller au-delà du réel.

Le roman est également une odyssée dans le monde de l’écriture, dit l’Ecrire. Le narrateur raconte l’Ecrivain, s’immisce dans ses pensées, pose des questions. Ainsi, il décrit son Écrivain en train de marcher-écrire, sa structure fragmentaire, son double titre et sa double couverture, la complexité de trouver les mots… Cela fait référence au récit de Chamoiseau « Le conteur, la nuit et le panier » (éd. Seuil 2021) qui précise que l’Ecrire, différent de l’écriture, est un cheminement sans chemin.  «  Écrire avec Alger. Ecriture déambulatoire avec Alger. Marcher c’est écrire avec les pieds, dit-il » (p 152)

La structure, bien que « ennuyeuse-bizarre » pour le lecteur habitué aux récits plats, est très agréable. Il s’agit de fragments épars qui invitent le lecteur à tisser-construire le sens. S’ajoutent aussi des ratures, des poèmes, des pans autobiographiques, des emprunts en dialecte…Cette structure captive l’attention du lecteur et montre ainsi la complexité des mots dans l’art de l’Ecrire (quel mot choisir, à quel endroit placer le fragment…).

Le roman fait une référence au précédent ouvrage de l’auteur « Body writing/Alger journal intense » qui a pour « personnage principal » un lieu : la Villa Hantée à Alger. Ktab s’attarde longuement sur ce lieu mythique, aimé par son Ecrivain, et qui  lui a donné naissance. Cela joue également sur le brouillage des signes : le lecteur croit à une suite ou un document romancé…

L’autobiographie est présente : l’auteur se raconte çà et là à travers son narrateur Ktab. La poésie parcourt la majorité des chapitres : rejetée en tant que genre, elle habite la prose de Benfodil et donne un plaisir de lire, une « littérarité » agréable.

Dense et fragmentaire, Terminus Babel explore l’art de l’Ecrire, un roman qui dit l’indicible. Un roman attirant par son étrangeté !

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Point fort du livre: la structure fragmentaire « chaotique »

Belle citation: « Je suis une trainée d’étoiles indisciplinées, la métaphysique du chaos qui habite la langue » (216).

L’auteur : Né en 1968, Mustapha Benfodil est un journaliste, poète, dramaturge, et écrivain algérien. Il a déjà publié en Algérie :  Les bavardages du Seul ,  Archéologie du chaos (amoureux) . Certaines de ses pièces ont été mises en scène  et jouées en France.

Terminus Babel, Mustapha Benfodil, éd. Macula (France), Barzakh (Algérie), 2023.

Par TAWFIQ BELFADEL

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