Les amants de Casablanca _ de Tahar Ben Jelloun : la liberté des femmes face à l’hypocrisie sociale

Après son récit « Au plus beau pays du monde » (Seuil 2022), Tahar Ben Jelloun publie son nouveau roman en 2023 chez Gallimard, intitulé « Les amants de Casablanca »

Lire la critique du précédent livre ici: Au plus beau ays du monde

Nabile et Lamia se sont connus en France où ils faisaient des études. Amoureux, ils rentrent au Maroc et se marient. Lui est pédiatre, elle pharmacienne. Ils représentent une classe bourgeoise et mènent une vie conjugale tranquille pendant dix ans. Ils ont alors deux enfants.

Soudain, tout bascule : Lamia tombe amoureuse du  jeune Juif Daniel qui devient son amant. Avec lui, elle devient elle-même, comblée, et oublie  son rôle d’épouse. Quittée aussitôt par Daniel, elle est effondrée et décide de quitter son mari et lui dit la vérité. Le divorce s’annonce avec cruauté. L’histoire secoue Casablanca. Nabile et Lamia sont tous deux déchirés par le chagrin.

 Nabile refait sa vie avec sa secrétaire, Lamia épouse un vieux cousin. Leur amour est toujours présent. Et s’ils vivaient cet amour en clandestinité ? La clandestinité répare-t-elle les dégâts du mariage étouffé par les codes et traditions ?

Tahar Ben Jelloun, comme dans la plupart de ses romans, peint une fresque de la société marocaine où règnent la culture de façade, une fausse bourgeoise qui ne croit qu’à l’argent, l’hypocrisie, le poids des traditions, la corruption…Un contexte balzacien à la marocaine.

Thème récurrent chez l’auteur, le mariage est le centre du roman. Il permet d’explorer la société en profondeur : les traditions, l’hypocrisie…Lamia organise un mariage couteux juste pour se montrer et afficher leur fausse bourgeoisie. A cause des traditions et codes sociaux, le mariage éteint le feu de leur amour (d’où l’adultère). Aussi, après le divorce le couple a un fou désir et un amour intense.

L’auteur fait l’éloge de la liberté et notamment celle de la femme dans un pays misogyne. Lamia devient une femme d’affaires indépendante, se fait un amant et assume (en plus un Juif), voyage partout. Une de ses copines et lesbienne et vit avec une femme. Le livre est un cri féministe.

Qui dit liberté dit clandestinité ; étouffant dans un pays de faux-semblants, les personnages vivent leur liberté en clandestinité et mènent ainsi une double vie. Une pour soi et une pour les autres. Ce que choisissent Lamia et Nabile alors que mariés : vivre leur premier amour en clandestinité, sans penser à la trahison de leur conjoint. Cela revient à l’hypocrisie sociale : on peut tout faire, mais en clandestinité.

Le cinéma est présent : çà et là l’auteur évoque un titre ou des scènes de films. Sa ville natale est là aussi : Nabile et d’autres familles sont issus de Fès. L’ethnographie est également présente : patrimoine, us, sorcellerie, traditions…

La narration est captivante ; du narrateur absent, on passe au JE (version de Nabile et celle de Lamia). Cela permet d’être dans la tête des personnages sans les juger. Comprendre leur humanité.  

Simple et profond, tissé par un réalisme inouï, Les amants de Casablanca est un roman qui déconstruit les façades de la société marocaine et fait l’éloge de la liberté. Un beau livre sur la complexité de l’Humain!

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Point fort du livre: choix narratifs

Belle citation:  » Une femme n’est pas libre, ou disons, elle est libre tant qu’elle ne sort de son rôle de mère et d’épouse irréprochable » (p241.)

Les amants de Casablanca, Tahar Ben Jelloun, éd. Gallimard, 2023,336P.

Par TAWFIQ BELFADEL

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