Après son livre de jeunesse Krimo, mon frère (2019), Mabrouck Rachedi publie son nouveau livre, un roman intitulé Tous les mots qu’on ne s’est pas dits (Grasset 2022).
Le narrateur du roman est Malik, dit le petit Malik, enfant d’une famille nombreuse vivant en France, issue de parents algériens. Il quitte son travail dans le domaine des finances pour se consacrer à l’écriture d’un roman.« Né dans une famille musulmane, je n’ai jamais cru au père Noel. Mais je croyais en mon père »
L’histoire est centrée sur l’anniversaire de la maman Fatima à bord d’une péniche à Paris. Presque tous les membres sont là : enfants, belles-filles, petits-enfants ; le père Mohand est absent, enterré dans son Algérie natale. C’est alors l’occasion pour le narrateur de creuser tant de sujets : l’Histoire d’Algérie, l’immigration, le départ des parents après l’Indépendance (1962), la relation entre les deux rives, la banlieue, l’identité et ses mystères, son projet d’écriture, son amour pour Kahina, le duel tradition-modernité….
Alors Malik saura-t-il restituer la mémoire familiale et se re-construire par l’écriture ? Et si Malik était l’auteur Rachid lui-même ?
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Le roman explore des tranches de vie d’une famille issue de l’immigration, ayant grandi en banlieue parisienne. Le père Mohand est un ouvrier, la maman Fatma est femme au foyer ; tous deux originaires de la Kabylie. Ainsi, divers thèmes imbriqués remontent à la surface.« Il a depuis longtemps réalisé que son avenir n’est pas en Algérie » (p 40)
D’abord, il y a l’Histoire d’Algérie. Le roman évoque de temps en temps des évènements et scènes de la colonisation comme la Guerre de Libération, l’Indépendance, les massacres d’Octobre 1961…Mohand et Fatima sont des témoins de cette Histoire; le passé algérien n’arrête pas de hanter le présent parisien.
Ensuite, le roman explore la relation entre immigrés et leurs enfants nés en France. Ces derniers tentent de « venger », par l’école et la réussite, la situation misérable des parents tués par la maladie des immigrés. C’est surtout le cas de Kader qui devient un grand homme d’affaires et se réjouit de donner des ordres aux Français, de les humilier avec son fric. « Si les hommes mourraient de la maladie des immigrés contractée sur les chantiers, la maladie des immigrées, c’était le veuvage et la solitude » (p 73)
Le roman peint en outre le choc entre tradition, transportée du Sud par les parents immigrés, et modernité. Malik est amoureux de Kahina, mais leur mariage est impossible tant que celle-ci est trop attachée aux traditions ; faire comme les autres, planifier la vie selon les normes…Ce que Malik fuit avec conviction.« La norme, c’est précisément ce à quoi j’ai voulu échapper quand j’ai quitté la finance pour me consacrer à l’écriture d’un roman » (p26)
Par ailleurs, le livre illustre la complexité identitaire dans la communauté immigrée. Les parents sont algériens, les enfants sont nés en France. Ils partagent à la fois des points communs et des écarts. Né en France, Kader se dit toujours Algérien. À l’inverse, un autre frère change son nom pour bien le franciser.« Mes parents sont arrivés algériens, ils ont eu une famille française. Cette identité s’est construite naturellement, sans papiers ni connaissance de la langue » (p197)
Le roman est aussi un éloge de l’amazighité à travers certains éléments notamment le choix des noms : Dihya, Mohand (référence au poète berbère), Kahina (référence à la reine berbère)…; à Paris, la maman s’exprime souvent en tamazight.
C’est par ailleurs un éloge de l’écriture. Malik a délaissé son travail, un poste de valeur pour se consacrer à l’écriture de son roman. C’est une des raisons aussi de sa séparation avec Kahina. Le narrateur évoque même le rapport aux éditeurs et les difficultés de l’édition. Une manière de prouver que la fiction est le moyen propice et unique pour dire le réel.
En somme, le roman est une autofiction ; autobiographie romancée. Malik est bel et bien l’auteur Mabrouck Rachedi. Les signes sont clairs et directs dans son livre. Le coté fictionnel est présent pour embellir le réel. Ainsi, Mabrouck se dit à travers ce roman, ce qui peut inclure toute la communauté immigrée malgré les différences et particularités des situations. Un livre qui rapporte les voix des Malik de la France !
La structure du livre est agréable. La narration est fragmentaire, balançant d’une rive à l’autre (Algérie-France) et du passé au présent. Cette structure donne de la valeur au roman et captive le lecteur.
Sobre et sensible, à la fois intime et social, Tous les mots que ne s’est pas dits traduit les silences de ces gens qui vivent à la lisière de deux rives, avec une identité à la fois riche et complexe. Un roman qui re-construit le réel par la fiction !
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Point fort du livre: belle structure
Belle citation: « Si les hommes mourraient de la maladie des immigrés contractée sur les chantiers, la maladie des immigrées, c’était le veuvage et la solitude » (p 73)
L’auteur: né en 1976 en France de parents algériens, Mabrouck Rachedi est un journaliste indépendant et écrivain. Auteur de romans et livres pour jeunesse; « Le petit Malik », « Le poids d’une âme » ont eu un large succès.
Tous les mots qu’on ne s’est pas dits, Mabrouck Rachedi, Grasset , France 2022, 2016p.
Par TAWFIQ BELFADEL