L’auteur a été inspiré par une maison liée à sa généalogie: Maison indigène ou Villa du centenaire , une maison construite dans la Casbah d’Alger, inaugurée à l’occasion du centenaire de la colonisation française en Algérie (1930), conçue par l’architecte Léon Claro (1899 Oran-1991 France), le grand-père de l’auteur. Cet architecte est également le concepteur de plusieurs monuments dans Alger d’autrefois dont l’Ecole des Beaux Arts.
L’auteur commence par décrire la maison et ses éléments. La villa est une fausse-vraie imitation : la France la voulait comme modèle des maisons indigènes. Par exemple, la façade a été crépie par des semelles de chaussures pour donner un effet d’authenticité. Si l’extérieur est un leurre, les matériaux sont solides et modernes, contrairement à ceux que les indigènes utilisaient autrefois pour construire. L’auteur parle d’une maison-pastiche.
Ensuite, l’auteur va à la rencontre de personnalités dont les noms sont liés à la Maison indigène .Il y a Albert Camus qui, inspiré par une visite sensuelle-philosophique de la maison, a écrit son texte La maison mauresque ; cette maison qui constitue pour lui un effacement de soi et une rencontre avec le monde. Quand Camus y entre « quelque chose relevant des correspondances baudelairiennes l’appelle, le convoque- mieux : le secoue. ». Il y a aussi Sénac qui a connu la famille de l’auteur à qui il a transmis la passion de la poésie, et d’autres célébrités.
Pour l’auteur, la maison est l’occasion pour fouiller les racines et les branches à la recherche de ce père perdu et de lui-même. Avec son « exploration des limbes », l’auteur « crée » son père devant lui. Avant la découverte de cette maison, l’auteur pensait ainsi : « Rien de ce qui touchait à l’ascendance ne me parlait. J’étais sourd aux racines, aveugle aux jeux de lumière dans les hauts feuillages de l’arbre généalogique ». Il s’agit donc d’une quête identitaire-existentielle. Et pour mener cette quête, l’auteur entre dans d’autres maisons dont l’architecte est souvent son grand-père.
L’Histoire se mêle à l’histoire des Claro. Ainsi, le lecteur découvre des faits historiques et sociologiques réels : les détails du tournage de L’étranger , des détails uniques sur des écrivains tels que Sénac et Camus, des fragments historiques inédits… Par exemple, le livre permet au lecteur d’avoir des informations précieuses sur la genèse ou la construction de certaines œuvres majeures comme celles de Sénac et de Camus ; ainsi l’auteur explique d’où vient le nom Marie, utilisé dans L’étranger.
La langue du livre est attirante, embellie de poésie. L’auteur ne se contente pas de fournir des informations, mais il embellit sa langue pour faire de certains paragraphes et phrases des poèmes à l’intérieur de la prose. Avec l’image omniprésente de Sénac, le récit peut être un hymne à la poésie aussi. « Le jour a renoncé à imposer sa loi, enfin le silence se fait, me défait, je suis enfoui, muré, et n’ai plus d’autre échappatoire que d’être moi ».
Le récit n’est pas centré sur Alger et l’Algérie : c’est un permanent va-et-vient entre l’Algérie et la France, entre hier et aujourd’hui. Un dialogue des rives qui brise la chronologie.
Claro efface la frontière entre les genres et les tons pour les mêler dans une mosaïque cohérente : essai, autobiographie, lettres, souvenirs, dialogues imaginaires, poésie…
Bref et riche en informations, un pont entre de l’Algérie et de la France, suspendu entre hier et présent, captivant par sa langue, le récit La Maison indigène n’est pas la peinture d’une maison mais une recherche du père et de soi, une rencontre existentielle avec le monde et soi, et un sincère éloge de la poésie.
Note : en mai 2020, Claro a demandé le retrait de ce livre de la sélection du prix Renaudot ; « Je vous remercie d’avoir pris la peine de le lire (ou de le feuilleter), mais il se trouve que je ne souhaite ni voir mes livres « récompensés » par un prix, ni même figurer sur une liste de prix. »(Le clavier cannibale, blog de l’auteur, le 5 mai 2020)
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Point fort du livre : belle langue.
Belle citation : « Un père n’est peut-être rien d‘autre qu’une maison qu’on n’a pas le droit d’habiter tant qu’on n’a pas couru et trébuché et volé et nagé dans sa mémoire. J’ai du refermé trop tôt le souvenir de mon père »
L’auteur : né en 1962, Christophe Claro, connu sous le nom Claro, est un écrivain et traducteur français. Il a publié chez Actes Sud : Tous les diamants du ciel (2012), Crash-test (2015)
La Maison indigène, Claro, éd. Actes Sud, France, 2020, 192p.
Par TAWFIQ BELFADEL
Toutes mes félicitations. Heureuse pour la naissance de cette revue culture, elle saura peut-être combler le vide qui jette son ombre sur la littérature et les plumes algériennes, qui se consument à petit feu.
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