Si seulement la nuit _ d’Atiq Rahimi et Alice Rahimi : écrire en temps de Covid-19

Après L’invité du miroir   (POL 2020) écrit à l’occasion d’un tournage au Rwanda, Atiq Rahimi publie son nouveau livre,  Si seulement la nuit (2022) chez le même éditeur.

Pour lire la critique du précédent livre cliquez ici : l’invité du miroir

« Si seulement la nuit » est un recueil de lettres échangées entre l’auteur Atiq Rahimi et sa fille Alice, femme de théâtre née en  France, pendant les confinements liés au Covid-19.  Il est divisé en deux parties : mars-mai 2020 et septembre-décembre 2020. Les lettres sont classées par ordre chronologique.

Tantôt courtes, tantôt longues, tantôt joyeuses, tantôt  douloureuses, les lettres évoquent divers sujets, mêlent les sensations, brisent les frontières du temps et de l’espace…

De quoi parlent Atiq et sa fille ? La crise du Covid-19 et le confinement sont-ils  le centre de ce livre ou  des prétextes ?

Le livre est écrit pendant la crise du Covid-19 et ses confinements. Atiq était confiné dans une maison à Paris, seul face au petit jardin et à  ses papiers. Cependant, la crise sanitaire n’est pas le centre de ce livre. C’est un prétexte, une étincelle, qui permet à l’auteur d’évoquer longuement des sujets inédits et d’autres moins évoqués dans ses précédents livres.

L’auteur évoque d’abord la pandémie et ses divers effets mais ne s’attarde pas sur ce sujet. Il qualifie le virus de « petit machin ».  « Tu es (sa fille) à deux pas de moi, mais je ne peux pas te voir, t’embrasser, t’étreindre.  Ni d’ailleurs ton frère ni ta mère. Chacun de nous semble porter le germe de la mort  pour l’autre »

Il décrit ensuite son lieu de confinement, une maison parisienne qu’il qualifie d’atelier. « Mon atelier est une sorte de grotte ou le réel devient virtuel ; l’imaginaire palpable ; le rêve vital »

Le livre fait également l’éloge de l’écriture et du théâtre. Le père et sa fille évoquent des livres, des pièces théâtrales, et soulignent l’importance de l’écriture et sa magie. « Mais au fond, on sait que se raconter répond aussi à l’obsession de prolonger son existence. La répéter, pour la rendre éternelle à travers l’écriture qui ne meurt jamais ».

Ainsi, Atiq évoque plusieurs de ses titres et livre des détails sur ses œuvres et leurs genèses ; Maudit soit Dostoïevski, Le retour imaginaire….Cela peut servir de clefs pour les chercheurs qui fouillent l’œuvre d’Atiq Rahimi.

En outre,  Atiq évoque sa rencontre avec son éditeur P.O.L et l’évènement crucial du prix Goncourt reçu pour son roman Syngué sabour en 2008. Il dit que ce prix lui a apporté « de la confiance en (ses) doutes ».

Par ailleurs, l’Afghanistan, pays natal de l’auteur, est omniprésent à travers son histoire, ses déchirements, ses guerres, ses douceurs…Présent notamment par le lien aux ancêtres et par le passé afghan qui caresse le présent, et surtout par le duel tradition-liberté. « Parce que je ne peux pas guérir mes ancêtres, Baba » . Bien qu’il l’ait quitté avec douleur et tant de difficultés, l’Afghanistan est le centre de l’œuvre rahimienne.

L’exil est aussi présent. Atiq évoque, pour la première fois, de nombreux  détails  sur son exil ; des prémices jusqu’à l’arrivée en France, en passant par le Pakistan et diverses péripéties. « Rien ne peut empêcher un humain  de rêver d’un ailleurs, d’une vie meilleure »

Bref,  le livre permet de découvrir Atiq l’humain et constitue un guide de lecture pour les gens qui s’intéressent à son œuvre.

L’auteur précise dès le début que cette correspondance est une fiction. Mettre le nom de sa fille en couverture est une déclaration d’amour d’un père à sa fille, mais aussi une transmission de la passion de la littérature et de la liberté. « Hormis les noms, tout est fictif dans ce livre »

Bien que les lettres soient classées par ordre chronologique, la chronologie est rompue à l’intérieur des textes ; le passé se mêle au présent, l’Afghanistan à l’ailleurs.

La poésie est omniprésente comme dans tout texte de Rahimi.  Des phrases et fragments sont imprégnés de poésie ; en plus, des poèmes sont insérés, des poètes sont évoqués. Atiq Rahimi qualifie ce croisement de la prose et la poésie de « lyrisme oriental ». « J’invite les mots, en tenue de soirée, à la fête des métaphores  et des métonymies » 

Simple et humain,  orné de belle écriture poétique, oscillant entre la terre natale et l’ailleurs, entre passé et présent, Si seulement la nuit est une correspondance qui guérit la malaise de la pandémie par l’écriture. Un livre qui transforme le confinement en compagnie.

***

Point fort du livre: écriture poétique

Belle citation: « Mais au fond, on sait que se raconter répond aussi à l’obsession de prolonger son existence. La répéter, pour la rendre éternelle à travers l’écriture qui ne meurt jamais »

L’auteur: né en 1962 à Kaboul, Atiq Rahimi est un écrivain et réalisateur. Son roman Syngué sabour a été récompensé par le Goncourt en 2008. Il vit en France.

Si seulement la nuit, Atiq Rahimi et Alice Rahimi, éd. POL, France, 2022, 304p.

Par TAWFIQ BELFADEL

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