L’invité du miroir – d’Atiq Rahimi: le Rwanda, miroir de l’humanité

Après le roman Les Porteurs d’eau (POL 2019),  Atiq Rahimi publie chez le même éditeur son nouveau livre : L’invité du miroir.

En 2018, l’écrivain-réalisateur Atiq Rahimi se trouve  au Rwanda pour adapter à l’écran Notre-Dame du Nil, roman de Scholastique Mukasonga. Prix Renaudot 2012,  le roman relate l’histoire d’adolescentes rwandaises au lycée Notre-Dame du Nil dans les années 1970 ; la haine  raciale finit par bouleverser  le calme  de l’établissement et l’innocence  des jeunes filles ; ainsi le roman retrace le schéma complexe  du génocide de 1994.

Le récit  L’invité du miroir   est  un ensemble de notes et dessins, de poèmes et collages,  qu’Atiq consignait dans ses carnets lors du tournage du film.

D’abord, l’auteur commence par décrire sa présence au Rwanda, le pays des milles collines. Pour lui, il ne s’agit  pas d’un simple séjour professionnel ou d’une découverte de l’exotique, mais d’une rencontre avec l’Histoire, les horreurs du monde (dont  celles de son pays natal l’Afghanistan), et  l’humanité…Le titre illustre bien cette rencontre, cet appel : L’invité du miroir. « C’est un appel, une convocation, dirais-je, pour que je re-garde et re-touche les cicatrices de l’Histoire dans un pays qui, tel un miroir, invite l’humanité à s’y contempler, à découvrir ses blessures, et à se re-connaître dans ses horreurs et ses douceurs. ».

Ensuite, il peint  un pan de la géographie  constituée de collines, de verdure,  et du fameux  lac Kivu ; ce dernier patrimoine naturel est devenu après le génocide de 1994 une empreinte d’horreur car tant de victimes y avaient été jetées.

Par ailleurs, il insère des personnages : un étranger (JE autobiographique) assis face au lac près d’un  vieux qui ne voit rien et n’entend rien mais qui sent tout ; une fille qui nage dans le lac à la recherche de mots ;  des pécheurs qui pêchent des mots aussi à  la place des poissons ;  une femme qui marche en chantant. Ils sont des survivants du génocide, des rescapés de l’horreur.

Le lac a une dimension merveilleuse, philosophique: c’est un miroir de la mémoire et une source de mots.  Ainsi, l’étranger venu du pays des milles montagnes (Afghanistan) entame un dialogue avec le vieux natif du pays des milles collines. De leurs mots différents, les deux tentent de  nommer l’horreur pour qu’elle ne revienne pas au monde. L’homme d’ailleurs dit : « Ici, je filme l’Innommable dans le rêve et le cauchemar des anges noirs aux ailes de cygne ». Le vieux d’ici qui incarne la sagesse et la voix des ancêtres dit : « Ici, après le génocide, personne ne meurt… ».

Alors Atiq Rahimi réussira-t-il  à « entrer » dans le miroir de l’humanité ou restera-t-il dehors ? Lui l’écrivain-réalisateur réussira-t-il  à nommer l’innommable et à filmer « l’infilmmable » ?

Centré sur le génocide, le récit  présente aussi quelques éléments socioculturels du Rwanda : des mots empruntés à la langue rwandaise, Imana le dieu ancestral unique des Rwandais et Burundais, les récits légendaires  de la vache  (Inyambo) et la chèvre qui créa le chagrin, l’histoire du lac Kivu, des contes et des traditions… «  Dans la tradition rwandaise, un conte ne se raconte jamais de jour, sinon on devient des lézards. ».

De temps en temps, l’auteur bascule du Rwanda à l’Afghanistan pour évoquer des souvenirs ou  des faits communs entre les deux pays. Les dessins ont un caractère abstrait et donnent au récit beauté et profondeur. Dessiner l’indicible. La langue est parfaitement poétique : bien que courtes, les phrases sont des champs de sens et de beautés. Tout comme Jeanne Benameur ou Beyrouk, Atiq Rahimi orne de poésie sa prose :

« Quarante ans de guerre

plus d’un million de morts

plus de cinq millions d’exilés…

Je viens du cauchemar de l’humanité

on commet le génocide des femmes,

des poètes,

des sages,

des amoureux… »

Récit poétique, bref et profond, L’Invité du miroir mêle Histoire et mémoire, sagesse et souvenirs, réalisme et parabole,  autobiographie et imaginaire. Ce texte est  un poignant  hommage aux victimes du génocide rwandais mais aussi à l’humanité entière qui cherche les mots pour nommer les horreurs.

Note : le film  Notre-Dame du Nil  est déjà dans les salles de cinéma. Voici la bande d’annonce : Notre-Dame du Nil

***

Point fort du livre: belle poésie.

Belle citation: « C’est un appel, une convocation, dirais-je, pour que je re-garde et re-touche les cicatrices de l’Histoire dans un pays qui, tel un miroir, invite l’humanité à s’y contempler, à découvrir ses blessures, et à se re-connaître dans ses horreurs et ses douceurs. »

L’auteur: né en 1962 à Kaboul, Atiq Rahimi est un écrivain et réalisateur. Son roman Syngué sabour a été récompensé par le Goncourt en 2008. Il vit en France.

L’invité du miroir, Atiq Rahimi, éd. POL, 2020, 192p.

Par TAWFIQ BELFADEL

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