Après L’enfant de l’œuf (Barzakh/Serpent à Plumes 2017), Amin Zaoui publie son nouveau roman : Canicule glaciale (éd. Dalimen 2020), écrit en français.
Afulay, Augustin, et Lévy sont trois militaires dans une caserne à Oran. Le contexte est celui de l’Algérie colonisée. Malgré les différences religieuses et identitaires, une forte amitié les unit. « Non loin de ces portes fermées, la guerre était postée. Dans l’air, il y avait comme l’odeur du baroud ! »(p113)
Adulay est algérien, de culture musulmane, qui a fait l’école française. Il doit ce nom à la maitresse de son père, Izilda. Augustin est un médecin français, portraitiste obsédé par l’image de son père qu’il n’a jamais connu. Lévy est un Juif de Tlemcen, leur capitaine.
Les trois amis partagent tant de choses ensemble : récits de leurs vies, souvenirs, putes, vin, plats algériens, bonheur et chagrin…La violence se déclenche. Les trois amis désertent pour rejoindre le maquis de la lutte algérienne. Lévy décède. Afulay et Augustin survivent et dégustent la liesse de l’Independence (1962).
Le pays sombre peu à peu dans le chaos et l’extrémisme islamique.« La liesse de l’indépendance glisse dans la peur, la haine et les règlements de comptes » (p215).
Les deux amis resteraient-ils dans leur Algérie ou choisiraient-ils l’exil ? Et si leur grande amitié s’évaporait-elle ? Et si Afulay voulait-il tuer son ami ?
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Le roman n’est pas une fiction historique. L’Histoire n’est qu’un arrière-plan, un prétexte pour traiter le thème de la diversité à la fois culturelle-religieuse-identitaire. Contrairement aux romans historiques, les évènements de l’Histoire sont ignorés. Ce qui compte c’est la cohabitation en paix des personnages. Cette dernière ne concerne pas uniquement les trois amis de la caserne, mais d’autres protagonistes. Par exemple, le père d’Afulay, Rochdi Daoud est très apprécié par la famille portugaise qui l’embauche. « Dans cette ville ouverte cohabitent les musulmans, les juifs, les chrétiens et les autres » (p86)
Dans le roman, la diversité ne mène pas à la division mais à l’amitié et à la tolérance. La cohabitation est illustrée aussi par les noms des personnages. Par exemple, Afulay a trois prénoms : Younes, Kenzi, et Afulay (donné par la Portugaise Izilda). Une pute d’Oran s’appelle à la fois Aicha et Léa. Ainsi, le roman fait l’éloge de la diversité et de l’Algérie plurielle qui adopte toutes les religions et différences.
Le roman peint de belles histoires d’amour. Leur beauté vient surtout des interdits transgressés par les amoureux. Dans le roman, l’amour sert notamment à appuyer le thème global de la diversité-cohabitation. Ainsi, Afulay est amoureux de la Française Sandrine; La Portugaise Izilda devient amante de l’Algérien Rochdi; Augustin couche avec l’Algérienne Zoubida…. Si les personnages sont divisés par la guerre et l’identité, ils sont unis par l’amour.
Le livre fait en plus l’éloge de l’amazighité de l’Algérie qui est souvent effacée, reniée, notamment par les conservateurs et les extrémistes musulmans qui réduisent l’identité algérienne en deux mots, arabo-musulmane. Cet éloge est illustré par le choix des noms Afulay et Augustin, deux philosophes berbères du Maghreb antique connus respectivement par ces noms: Apulée de Madaure et Saint Augustin d’Hippone; Afulay étant l’appellation berbère d’Apulée. L’auteur évoque tant de fois l’Ane d’or, le livre mythique. Si ce roman raconte la métamorphose d’un homme en âne, Canicule glaciale raconte la métamorphose de cet Afulay-Younes-Kenzi, cultivé et ouvert d’esprit, en islamiste après l’Indépendance. « Cet écrivain berbère mondialement connu ne raconte dans son livre que mon histoire ! » (114).
Derrière la métamorphose d’Afulay c’est la métamorphose de toute l’Algérie qui est sous-entendue: le pays dégringole de la liesse, de la cohabitation heureuse, vers l’extrémisme et la haine. « l’Algérien perd son algérianité »(p230)
L’auteur déconstruit les tabous qui sont couverts de silence dans la société algérienne. Inceste, viol, pédophilie, trahison, hypocrisie, mensonge…sont explicitement dévoilés. A titre d’exemple : la tante d’Afulay fait l’amour avec l’imam à l’intérieur de la mosquée, sur le brancard des morts. « Je me rappelle ce féqih de l’école coranique de notre village Hab L’Mlouk qui a voulu me violer » (p116) dit Afulay. Le roman expose au soleil les non-dits, les dessous des faux-semblants.
Le livre est également un hommage aux autres (non-Algériens, non-musulmans) qui ont fait la guerre pour la liberté de l’Algérie et qui sont effacés de l’Histoire officielle et de la mémoire à cause de leur différence. Augustin est français, Lévy est Juif mais les deux ont déserté pour défendre l’Algérie. Un narrateur évoque toute une liste de ces martyrs en fin de roman. La dédicace illustre clairement ce point: « Pour Fernand Iveton, Ahmed Zabana, Henri Maillot et les autres ». Bref, le livre fustige l’ingratitude envers ces gens qui ont choisi l’Algérie.
La ville d’Oran est aussi célébrée dans la fiction. La majorité des œuvres littéraires algériennes ont pour espace la ville d’Alger. « On n’habite pas Oran, c’est plutôt elle qui nous habite » (p91).
La structure est fragmentaire. Le livre est un ensemble de petits textes portant chacun un titre attirant. Cette forme rappelle les chroniques de l’auteur. La narration est polyphonique : divers personnages racontent en utilisant le JE. Parfois la narration est brouillée, passant d’un narrateur à l’autre. Le début et la fin du roman racontent le même fait. Les va-et-vient entre passé et présent sont très abondants. Cette structure donne de la valeur au roman et attire l’attention du lecteur, tant que la littérature contemporaine s’intéresse plus au « comment écrire » qu’à l’histoire racontée.
Simple et éclaté, marqué par une structure fragmentaire, Canicule glaciale est un hymne à la cohabitation et à l’Algérie plurielle. Un roman contre la métamorphose de ce pays qui passe de la diversité au radicalisme, de cette Algérie qui perd son algérianité.
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Point fort du livre: la structure fragmentaire.
Belle citation: « Les femmes sont notre patrie plurielle, notre géographie ouverte ! la femme est une nation. Une planète » (p200).
L’auteur: Né en 1956, Amin Zaoui est un écrivain algérien écrivant en français et en arabe. Il est aussi universitaire et chroniqueur pour les journaux.
Canicule glaciale, Amin Zaoui, éd. Dalimen, Algérie, 2020, 234p.
Par TAWFIQ BELFADEL