Le président de l’Institut du Monde Arabe (IMA), Jack Lang publie son nouveau livre intitulé La langue arabe, trésor de France, avec la collaboration de Victor Salama.
Le livre commence par un petit texte en guise d’introduction dans laquelle l’auteur déclare que la langue arabe fait partie de l’histoire de France. « L’histoire de notre pays, depuis la Révolution française, ne serait pas complète sans la prise en compte de sa dimension arabe ». Il y souligne aussi son engagement de longue date en faveur de cette langue.
Dans le même texte, il précise l’objectif de ce livre :« L’objet de ce livre est précisément de cet ordre : redonner à l’arabe, cette langue de France depuis plus de cinq siècles, toute sa place dans l’enseignement public- et au-delà, toute sa reconnaissance et sa dignité dans notre société »
Alors comment l’auteur fait-il l’éloge de la langue arabe dans ce livre? Quelle méthode et quels outils utilise-t-il pour peindre l’objectif de l’ouvrage ?
Le livre comprend trois parties complémentaires. Chacune est constituée de petits chapitres et textes titrés.
La première partie est basée sur des faits historiques. L’auteure relate comment la langue arabe s’est introduite depuis des lustres en France grâce au Roi et à l’orientalisme. Parmi les faits marquants : les décisions de François 1er ancêtre du Collège de France (jadis Collège royal) en faveur de l’arabe, l’expédition égyptienne menée par Bonaparte en 1798, la création des écoles et instituts des études arabes… « En 1807, la chaire d’arabe se dédouble à Marseille ». L’auteur précise aussi que jusqu’à l’avènement de la République, les influences réciproques entre l’arabe et le français sont abondantes; il illustre ce point avec les célèbres recueils Les Milles et une nuit, et Kalila wa Dimna (fables) qui ont inspiré tant d’écrivains français.
Après l’introduction royale et la passion orientaliste, l’engouement vers l’arabe s’amplifie avec les colonisations. Cette langue devient un besoin colonial urgent pour comprendre et soumettre les pays colonisés du Maghreb. « En 1848, le collège, qui devient le lycée d’Alger, accueille un nombre significatif d’élèves en cours arabe ».
Selon l’auteur, elle devient ensuite langue de contestation chez les indigènes aspirant à la liberté. « La langue prend bientôt une dimension menaçante : elle est vue comme le vecteur d’un nationalisme hostile à une France affaiblie ». Après les indépendances, l’arabe devient langue des immigrés.
Dans la deuxième partie, l’auteur synthétise la genèse de la langue arabe en traitant les éléments externes et internes. Il évoque le passage de l’oral à l’écrit, le poids important du Coran, le passage des dialectes à la langue unifiée, la modernisation de celle-ci par le mouvement Nahda (Renaissance) … « La langue est la grande affaire de la Nahda ». Il résume aussi l’essor considérable de l’arabe grâce aux empires omeyyade 650-750 puis abbasside 750-1258, et aux conquêtes. Il décrit même son état actuel comme une des grandes langues parlées aujourd’hui dans le monde, la quatrième sur Internet.
La troisième partie est centrée sur la place de l’arabe dans l’enseignement public en France. L’auteur fustige la stigmatisation de cette langue, marginalisée et qualifiée de langue de communautarisme, de violence, de langue des immigrés…« De fait, on associe très souvent l’enseignement de la langue arabe à la pauvreté, à l’échec scolaire : cela devient stigmatisant ». Elle est ainsi boudée à l’école, à la fois par les parents d’élèves et par les responsables, contrairement aux autres langues. Jack Lang souligne aussi son combat pour cette langue, surtout avec la création d’un certificat international de maitrise de l’arabe (CIMA).
Ainsi, dans les trois parties, Jack Lang fournit de riches informations sur cette langue. Le livre est appuyé par diverses références citées à la fin. Il insiste aussi sur le devoir de la France d’adopter cette langue-trésor et de l’apprendre en tant que langue sans dimensions religieuse ou politique…Il précise notamment que cette langue n’est pas réservée aux locuteurs du Maghreb et d’Orient, mais une langue universelle comme les autres et qui fait le pont avec diverses cultures. « Car musulmans, chrétiens et juifs participent ensemble au développement de l’arabe »
Il salue aussi les efforts de l’IMA où, ses collègues et lui, luttent pour donner à l’arabe sa dignité et sa valeur avec divers moyens (expositions, livres, rencontres…). « Nous (personnel de l’IMA) contribuons ainsi à la pleine reconnaissance de l’arabe à l’échelle internationale-et plus fondamentalement, à la dignité d’une langue et de ses locuteurs ».
Le livre s’inscrit dans le genre de manifeste. L’auteur expose ses opinions avec un raisonnement logique : thèses, arguments, illustrations…« Le temps est venu de donner à l’arabe sa pleine place dans l’école de la République. C’est l’objet de ce manifeste. »Il adopte aussi une méthodologie pluridisciplinaire en mêlant Histoire, statistiques, linguistique, sociolinguistique, sociologie… Ce livre rappelle alors Défense et illustration de la langue française (1549) de Joachim Du Bellay qui est le premier manifeste de la langue française.
Malgré sa passion pour l’arabe et son éloge-combat pour cette langue, Jack Lang tombe dans le piège du vocabulaire stigmatisant alors qu’il fustige lui-même la stigmatisation. Une contradiction donc! Autrement dit, il ne précise pas les mots pour éviter les malentendus et les amalgames. Ainsi, il qualifie la région parlant l’arabe (Afrique du Nord, Orient) par l’expression Monde arabe qui est réductrice puisque l’arabe est une langue et pas une identité.
En plus, il qualifie, comme de nombreux écrivains de la littérature coloniale, les locuteurs de l’arabe habitant en Afrique du Nord et en Orient par le mot réducteur Arabe. « Elle représente moins de 3% du Web, ce qui oblige les Arabes à utiliser l’anglais pour suivre ce qui est publié sur la Toile ». Nul n’ignore les débats houleux sur Meursault à cause de ce mot dévalorisant. Cela constitue un effacement de l’identité des locuteurs car un Algérien est Algérien, et un Libanais et Libanais. La langue est un outil, l’identité est un ensemble de rhizomes (réf. Glissant). Sinon, comment qualifier un copte qui parle arabe en Égypte ? Il est Égyptien pas un Arabe. Et comment qualifier un Français qui parle l’arabe? Français pas Arabe.
L’auteur aurait pu éviter ces confusions lexicales teintées de stigmatisation, à l’aide de divers moyens comme les guillemets ou une note en bas de page pour préciser ses intentions. Parce que le combat de la langue arabe, c’est aussi lutter contre les mots dévalorisants : en plus d’un combat politique-pédagogique, c’est aussi un combat sémantique et humain.
Riche en informations, construit avec une belle méthodologie, La langue arabe, trésor de France est un manifeste qui fait l’éloge de l’arabe et du vivre-ensemble. C’est aussi un pont d’amitié entre Orient et Europe.
***
Point fort du livre: la démarche pluridisciplinaire.
Belle citation: « Ceux qui sacralisent la langue arabe et ceux qui la diabolisent sont les deux faces d’une même médaille ».
L’auteur: né en 1939, Jack Lang est un juriste et homme politique français. Essayiste, il était plusieurs fois ministres. Il est aujourd’hui le président de l’IMA.
La langue arabe, trésor de France, Jack Lang, éd. Cherche-Midi, France, 2020, 128p.
- Cette critique a été faire à partir de la version numérique du livre.
Par TAWFIQ BELFADEL