Après La théorie des aubergines, Leila Bahsain publie en 2024 son nouveau roman intitulé Ce que je sais de monsieur Jacques chez le même éditeur (Albin Michel).
Pour lire la critique du précédent roman: la théorie des aubergines
Loula est une fille au seuil de l’adolescence. Après avoir quitté la ville-mer, elle vit avec sa famille à Merrakech (non cité dans le roman). Jacques est un des voisins : un adulte qui aime les garçons qu’il invite chez lui pour photographier, toucher, et coucher avec. A travers le judas, Loula guette les allers et venues des garçons et se pose tant de questions sur l’enfance, le corps, le malheur de la classe populaire.
Elle trouve refuge dans la musique et les livres. La première déception amoureuse a lieu : son amoureux Trabolta tombe dans les rets de Jacques. La famille déménage ; Loula excelle à l’école, va loin avec les livres et l’écriture, trouve un nouvel amoureux, Moulay.
Et si Moulay aussi se laissait soudoyer par Jacques ? Qui sauvera les enfants des Jacques de la vie ?
A travers la voix de Loula, l’auteure fustige l’exploitation des enfants par les adultes. Un des motifs : ils sont issus de la classe populaire, réduits en corps-jouets à la merci de l’adulte qui paye. Jacques mène une vie tranquille ; il a même des intermédiaires qui lui cherchent les jolis garçons. En plus de ce crime, l’auteure fustige le silence complice : tout le monde fait semblant de ne rien voir. Ainsi, la narratrice-enfant assure une fausse innocence : son regard dépasse celui des adultes vu sa lucidité et ses réflexions. « L’enfant n’a pas le droit de parler. Le corps de l’enfant ne lui appartient pas » (p175.)
Le roman peint aussi les liens de dominations : riches-pauvres, adultes-enfants, hommes-femmes. Un des points faibles des enfants-proies : ils sont issues de quartiers populaires où vivait aussi Loula. En plus de la marge sociale, s’ajoute la marge existentielle.
Le roman est également un éloge à Merrakech, ville chère à l’auteure. Celle-ci y a vécu après avoir quitté Salé. Le livre offre souvent sont des fragments de patrimoine, des panoramas, des traditions… de la ville ocre.
L’auteure se serait inspirée largement de sa vie : Loula est dérivé de Leila. L’auteure, comme son personnage, a quitté la ville-mer de naissance (Salé) et a vécu à Merrakech. Autre point : la passion des livres et de l’écriture. Cependant, il ne s’agit pas d’autobiographie.
L’écriture est sobre, embellie de poésie. Le livre mêle amertume du thème à la douceur des mots. Déconstruire le mal par la beauté. Ainsi, l’auteure a présenté en 2022 une conférence sur le thème de « La langue française comme outil de riposte aux dominations ». Leila Bahsain déconstruit toute domination par les mots.
Le roman a un caractère humaniste. A travers une fiction, l’auteure exhorte le monde à protéger l’enfance (non-protectorat aux enfants). Sans oublier que l’auteure lutte à travers les associations.
Simple et profond, sensible et humain, Ce que je sais de monsieur Jacques est un cri de riposte contre la domination. Un roman qui déconstruit le mal par la beauté des mots.
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Point fort du livre: caractère humaniste
Belle citation: « Les plus belles vérités ne peuvent se dire, elles se chantent ou s’expriment en notes de musiques » (p61)
L’auteure : Leïla Bahsaïn est jeune écrivaine franco-marocaine. Elle a travaillé dans la communication. Elle s’occupe de Zitoun, association d’alphabétisation des femmes au Maroc. Ses nouvelles ont été récompensées au Maroc. Elle vit en France.
Ce que je sais de monsieur Jacques, Leila Bahsin, Albin Michel, 2024, 224p.
Par TAWFIQ BELFADEL
