Au vent mauvais _ de Kaouther Adimi : transformer le réel par la fiction

Après « Les enfants de décembre » (Seuil 2019), Kaouther Adimi publie son nouveau roman chez le même éditeur, intitulé « Au vent mauvais ». 

Tarek  naît et grandit dans un pauvre village d’Algérie.  Muette, sa mère allaite un voisin de son âge, Said, pour subvenir aux besoins de la vie.  Les deux enfants grandissent ensemble, tels des frères.

Said part en  Tunisie faire des études et devient après des années un grand  journaliste le premier écrivain algérien de langue arabe. Tarek fait la Seconde Guerre, rentre au pays pour épouser sa voisine divorcée Leila, et participe ensuite à la guerre d’Algérie.

Après l’Indépendance (1962), Tarek participe à la réalisation du film La Bataille d’Alger et devient ainsi l’ami du réalisateur Pontecorvo.  Il part ensuite en France travailler dans une usine, laissant son épouse et ses enfants, dans le dessein de revenir avec une fortune.

Le destin le mène à Rome ; grâce à Pontecorvo, il est employé comme gardien de la villa du Cardinal.  A peine quelque mois, il rentre en urgence en Algérie pour cette raison : Said a fait de lui et Leila des personnages de papier, de leur vie un  célèbre roman.

Se sentant trahi par son « frère » Said, Tarek déménage avec sa famille à Alger. A peine quelques mois de paix, le pays sombre dans le terrorisme.

Alors Tarek se vengerait-il de son « frère » Said ?  Comment la fiction transforme-t-elle le réel et vice-versa?

Le roman peint le destin d’une famille algérienne bouleversée par les évènements réels du pays et condamnée aux multiples déplacements. Ainsi, du village d’El Zahra, Tarek se trouve en France faire la Seconde Guerre ; puis  à Alger faire la bataille ; ensuite il rejoint le maquis dans les montagnes ; après,  il est ouvrier à Paris, puis gardien de la villa-musée du Cardinal…

A travers le destin de cette famille, le roman   peint une fresque immense du pays à travers des générations : la colonisation, l’Indépendance, la décennie noire…Ainsi, l’Histoire est omniprésente et constitue à la fois l’arrière-plan et le socle du roman. Autrement dit, le roman dit l’Algérie à travers  la trajectoire d’une simple famille.

L’amour est un thème prépondérant. C’est l’élément principal qui génère des péripéties, bouleverse des vies, anime le roman…Depuis son enfance, Tarek aime Leila qu’il épouse malgré son divorce (chose mal vue dans un village ou règnent la tradition et le patriarcat) ; partout, à tout moment, il pense à elle.

Le roman fustige la  tradition et la culture patriarcale. Le village natal de   Tarek est le miroir de celles-ci.  Le roman confronte également tradition et liberté (symbolisée par la grande ville) ; ce qui rend les personnages doubles et pris dans l’entre-deux ; par exemple, de retour de France et d’Alger, Tarek rentre au village avec une tenue à l’européenne. Ses filles  aussi portent le jean et conduisent des voitures.

L’autre élément crucial qui miroite la beauté du roman : le livre explore la fine frontière entre réel et fiction  au point de troubler la compréhension chez le lecteur qui se poserait cette question « ce qui est raconté est réel  ou fictionnel ? ». C’est à la fois les deux, un entre-deux  sans étiquette : des tranches de fiction qui se mêlent intiment à des fragments de réel comme les évènements historiques, le film de la Bataille d’Alger, la villa du Cardinal à Rome. Avec certaines techniques, l’auteure trouble davantage les signes ; fictionnaliser des personnages réels comme Pontecorvo ; dire que le roman du personnage Said a vraiment existé …

Film La Bataille d’Alger

L’auteure a déjà exercé cette technique dans son roman « Nos richesses »(2017) dans lequel elle rend le libraire-éditeur Edmond Charlot un personnage à la fois réel et fictionnel.

Villa du Cardinal, Rome
Villa du Cardinal Rome

Ce qui constitue un  petit point faible du roman, c’est l’omniprésence des ellipses narratives qui servent à « sauter » certains faits. L’explication possible est la suivante : l’auteure voulait suivre le destin de la famille Tarek (donc l’Algérie) à travers des générations (des années 1930 aux années 1990), ce qui exige des ellipses. Mais vu la présence exagérée de celles-ci, le roman perd çà et là sa profondeur ; le narrateur évoque superficiellement un fait et saute vers un autre. Cependant, ce point n’altère en rien la grande qualité et la beauté du roman.

Sobre et captivant, tissé par une structure fragmentaire, Au vent mauvais est un roman qui transforme le réel par la fiction. Un bel hommage à l’Algérie, fait d’amour et de guerre.

***

Point fort du livre: le caractère réel-fiction

Belle citation: « Admirer une œuvre, c’est repousser la mort, c’est permettre à la vie de gagner. Posséder ce genre d’œuvres d’art, c’est être béni des dieux » (p153)

L’auteure: née en 1986, Kaouther Adimi est une écrivaine algérienne. Au vent mauvais est son dernier roman. Elle vit en France.

Au vent mauvais, Kaouther Adimi, Seuil, 2022, France, 272p.

Par TAWFIQ BELFADEL

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