Après son roman Au vent mauvais (Seuil 2022), Kaouther Adimi publie son nouveau livre intitulé La joie ennemie (Stock 2025).
Le livre s’inscrit dans la collection « Ma nuit au musée » des éditions Stock : un écrivain-e est invité-e à passer la nuit dans un musée ou établissement d’art-culture dans le dessein de produire un récit.
Après une nuit au Musée Picasso (2018) qui n’a pas abouti, Kaouther Adimi passe une nuit à l’Institut du Monde Arabe à l’occasion d’une exposition-hommage à la peintre algérienne Baya.
Entourée des toiles de Baya, l’auteure aiguise le regard, enjambe les murs de la galerie, et va au-delà des peintures. Photos, archives, notes…la nuit devient un laboratoire pour Adimi.
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D’abord, l’écho de la guerre se mêle au nom de Baya ; l’auteure évoque longuement la décennie noire et des souvenirs encore vivants de cette période. « L’écho de la guerre résonne encore à mes oreilles ; résonne aussi le rire de Baya » (p 11). La guerre force la famille Adimi aux déplacements et à l’exil en France, mais le père (militaire) préfère la terre natale à sa thèse de doctorat ; retour en 1994. « Je vous offre un pays » leur dit-il (p189). Ainsi les ombres de la guerre se mêlent aux couleurs vives de Baya.
L’auteure écarte ensuite les ombres avec le nom de Baya : elle explore l’enfance de l’artiste, des pans de biographie comme l’enfance dure, l’adoption par Marguerite Caminat, sa première exposition chez Maeght…Elle fustige également les fausses informations et les clichés racistes qui passent Baya pour une apprentie, fille de sorcière…
Ainsi, Kaouther passe de Baya à son Moi, du passé au présent, d’une rive à l’autre…Elle se dit à travers Baya : sortir de soi pour y revenir.
Le livre constitue également un hommage à l’Algérie, notamment Alger, ville-muse pour l’auteure où sont ancrées la majorité de ses fictions. « L’Algérie, c’est la mer, l’immensité du ciel bleu, le soleil qui caresse mes jambes nues, le village de mes grands-parents, la carte postale » (p 37)
Si la mère est présente dans le livre par son silence, l’écrivaine rend hommage à son père : un militaire passionné par la recherche universitaire et la langue arabe. Elle fait du père une sorte de mythe personnel.
Par ailleurs, le récit offre des fragments sur l’art d’écrire ; cela permet aux lecteurs d’analyser en profondeur les récits de Kaouther Adimi (récurrence des thèmes et lieux comme Alger et la mère), la manière d’écrire…« Le rythme du corps est celui du texte. Si je m’arrête, les mots s’éloignent et tout se fige. Ce n’est pas de l’agitation, c’est l’écriture qui passe par le corps » (p113.)
La structure du récit est agréable. Le livre alterne la biographie de Baya et l’autobiographie de l’auteure. De l’un à l’autre ; les deux se croisent, se séparent, et se complètent pour tisser une belle œuvre. Fait captivant : l’auteure fait du livre un récit vivant en usant le présent de l’indicatif et en insérant des touches d’imaginaire comme si Baya était un personnage de fiction. « Baya, intimidée, s’avance prudemment sur le palier, le cœur battant » (p 99). Ce caractère captive l’attention du lecteur et rend le passé présent pour le préserver.
Si le point de départ (aller au musée pour écrire sur Baya) était clair, la suite fait du livre un cheminement sans chemin ( Réf ; le conteur la nuit et le panier, Chamoiseau). Ainsi tout se mêle ; les pronoms (va-et-vient entre Elle et JE), l’espace, le temps, les souvenirs, les archives, les couleurs et les ombres…« Peut-être que c’est ça, tout le projet de ce livre ; inventer une contre-archive » (p208).
Le point faible du livre serait de réduire les œuvres de Baya au niveau de l’observation (animaux, couleurs, robes) au lieu d’y apporter un profond regard d’écrivain et de tisser des liens entre peintures et thèmes d’écriture abordés. Conséquence : le volet consacré à Baya est le condensé d’archives et articles à caractère journalistique. Cependant, ce fait n’altère en rien la belle qualité du récit.
Sobre et sensible, croisant les genres et les tons, tissé par une belle structure, La Joie ennemie est un hommage à Baya et à l’Algérie. Un récit doux-amer qui dit le Moi à travers l’Autre, et exorcise les ombres par les couleurs.
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Point fort du livre : la structure.
Belle citation : …« Le rythme du corps est celui du texte. Si je m’arrête, les mots s’éloignent et tout se fige. Ce n’est pas de l’agitation, c’est l’écriture qui passe par le corps » (p113.)
L’auteure: Né à Alger en 1986, Kaouther Adimi est une écrivaine algérienne. Auteure de: L’envers des autres, Nos richesses, Les Petits de décembre. Elle vit en France
La Joie ennemie, Kaouther Adimi, éd. Stock, France, 2025, 256p.
Par TAWFIQ BELFADEL

